Pourquoi élaborer des traités spécifiques pour interdire certains types d’armes ?
Sur base de son mandat visant à promouvoir la diffusion, le respect et le développement du droit international humanitaire (DIH), le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge déploie de nombreux efforts pour promouvoir l’interdiction de certaines armes de nature à causer des souffrances inutiles et des effets indiscriminés. Si l’usage de telles armes est difficilement compatible avec le respect des règles de DIH coutumier et des traités de base du DIH, l’adoption de traités spécifiques permet de renforcer leur interdiction, tout en promouvant la prévention et le traitement des souffrances qu’elles génèrent. Nous explorerons ici pourquoi ces traités sont adoptés, quel est leur impact et leur plus-value.
Le développement de traités de DIH soumis au consentement des Etats
Le DIH énonce une série de règles qui régissent les méthodes et moyens de combat en limitant l’emploi de certaines armes de nature à causer des souffrances inutiles et à frapper sans discrimination. Au fil du temps et du développement des nouvelles technologies de guerre, une série d’instruments internationaux ont été élaborés pour restreindre l’emploi de ces armes (telles que les pièges), ou encore pour en interdire totalement l’usage et la production, en partant du postulat que certaines armes sont difficilement compatibles avec les règles de base du DIH, peu importe les circonstances de leur utilisation. C’est le cas par exemple du Protocole de Genève (1925) prohibant l’emploi de gaz asphyxiants, toxiques ou similaires et de moyens bactériologiques, de la Convention sur l’interdiction des armes biologiques (1972), de la Convention sur l’interdiction des armes chimiques (1993), de la Convention sur l’interdiction des mines antipersonnel (1997), de la Convention sur les armes à sous-munitions (2008) et, plus récemment, du Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (2017).
Conformément au droit des traités (consacré principalement par la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969), les Etats ne sont liés par un traité ou une convention internationale que s’ils y marquent leur consentement. Après une phase de négociation, le texte des traités est soumis à l’adoption, à l’authentification et à la signature des Etats qui s’engagent à le respecter par voie de ratification. Même s’ils n’ont pas participé à la négociation et à la signature d’un traité, les Etats peuvent devenir ultérieurement parties par voie d’adhésion. Lors de leur adhésion ou de la ratification, les Etats ont la possibilité de formuler des déclarations unilatérales ou des réserves à l’égard des dispositions du traité, à condition que celles-ci ne soient pas incompatibles avec l’objet et le but du traité, ni interdites par ce dernier.
Les traités opèrent entre des sujets de droit international (principalement les Etats et certaines organisations internationales) qui sont juridiquement égaux et il n’existe pas de structure centralisée chargée de faire respecter leur application. Il existe néanmoins plusieurs juridictions internationales, telles que la Cour Internationale de Justice, dont la compétence et l’application des décisions dépendent de la volonté des Etats. Soulignons toutefois que ces derniers ont avantage à respecter leurs engagements, notamment pour leur image et leur réputation. Par ailleurs, les Etats Parties peuvent recourir à un dialogue diplomatique, voire à des sanctions diplomatiques, et invoquer le principe de réciprocité qui leur permet de suspendre l’application du traité en cas de violation par l’un d’entre eux (à l’exception des dispositions relatives à la protection des personnes).
Des traités qui reflètent des règles de droit international coutumier et des traités de base du DIH*
Si, en principe, les Etats ne sont pas liés par les traités qu’ils n’ont pas ratifiés ou auxquels ils n’ont pas adhéré, ils ne sont pas pour autant déliés de toute obligation en droit international. Les traités ne constituent pas en effet l’unique source de droit international. Outre les principes généraux de droit, la coutume internationale contient une série de règles que les Etats doivent respecter, indépendamment de la ratification d’un traité.
Le droit international coutumier découle d’une pratique générale acceptée comme étant le droit. Pour prouver qu’une norme relève du droit coutumier, il faut démontrer qu’elle reflète la pratique des États et qu’il existe, au sein de la communauté internationale, la conviction qu’une telle pratique est requise par le droit. Le CICR a ainsi recensé 161 règles de DIH coutumier qui lient l’ensemble des parties à un conflit armé. Parmi elles, une série de règles cherchent à limiter les souffrances causées par la guerre en limitant l’usage des moyens et méthodes de combat de manière générale et en restreignant spécifiquement l’usage de certaines armes.
Dès l’origine, le droit international humanitaire conventionnel s’est efforcé de limiter le choix des moyens et méthodes de guerre en interdisant certaines armes de nature à causer des souffrances inutiles ou des effets indiscriminés, que ce soit en raison de leurs caractéristiques, de la façon dont elles sont conçues ou de leur utilisation normale ou attendue. Ces armes sont réputées contraires aux principes fondamentaux du DIH dans la mesure où elles ne permettent pas de cibler un objectif militaire avec exactitude et provoquent presque inévitablement des dommages aux personnes ou objets civils. C’est le cas par exemple des bombes à sous-munitions qui se répandent sans précision et sans discrimination sur de très vastes étendues, en faisant de nombreuses victimes civiles, dont de nombreux enfants . De plus, de nombreuses sous-munitions n’éclatent pas comme prévu et n’explosent pas à l’impact, à l’instar des mines antipersonnel. Ces dernières sont conçues pour exploser automatiquement à l’approche d’une personne et peuvent rester dans le sol pendant des décennies. Elles peuvent donc mutiler, blesser ou tuer indistinctement des personnes civiles des années après la fin du conflit, ce qui rend l’agriculture et la reconstruction d’infrastructures vitales dangereuses et affecte durablement l’environnement, lui aussi protégé par les principes de base du DIH.
Les armes chimiques frappent également de manière indiscriminée et peuvent causer des dommages qui perdurent longtemps après la fin du conflit. Depuis 1945, le développement des armes nucléaires a soulevé des préoccupations importantes dans la mesure où elles sont porteuses d’une violence aveugle et d’un pouvoir destructeur inégalé, causant directement d’indicibles souffrances humaines et dommages environnementaux, accrus par des retombées radioactives particulièrement persistantes et dangereuses, comme on l’a vu après les bombardements d’Hiroshima et de Nagasaki en 1945 .
* Principalement le Protocole additionnel I aux Conventions de Genève (ratifié par 174 Etats, soit 90% des Etats) et le Règlement de La Haye de 1907.
Des traités qui réglementent l’usage de certaines armes contraires aux principes de base du DIH : quelle utilité/plus-value ?
Dès lors que les principes de base du DIH permettent à eux seuls d’interdire l’emploi des armes qui sont de nature à frapper de manière indiscriminée, on pourrait questionner la pertinence et l’utilité de recourir à des traités spécifiques pour en réglementer l’usage. Il convient toutefois de souligner que, bien au-delà de l’interdiction ou de la limitation d’utiliser ces armes, ces traités visent à prévenir et remédier aux souffrances qu’elles provoquent au travers d’une série de mesures et obligations.
Tout d’abord, ils permettent de limiter les risques que ces armes soient utilisées en cas de conflit armé en imposant aux Etats parties de les détruire et en leur interdisant de les stocker, de les conserver ou de les transférer mais aussi d’en mettre au point, d’en produire ou d’en acquérir de nouvelles. À titre d’exemple, les États parties à la Convention sur les armes à sous-munitions (2008) ont détruit la grande majorité de leurs stocks déclarés (environ 1,5 million d’armes contenant près de dix fois plus de sous-munitions) et 18 pays qui fabriquaient auparavant des armes à sous-munitions ont cessé de le faire. On notera aussi que plus de 50 millions de mines ont été détruites depuis l’adoption de la Convention sur l’interdiction des mines antipersonnel (1997) et 99 % des stocks d’armes chimiques déclarés ont été détruits depuis la Convention sur l’interdiction des armes chimiques (1993).
En réduisant significativement le nombre d’armes prohibées, ces traités permettent de prévenir les pertes humaines et les souffrances qu’elles provoquent. Ils visent également à y remédier en demandant aux Etats Parties de traiter les conséquences humanitaires de l’utilisation de ces armes et de fournir une assistance appropriée aux victimes (soins médicaux, mesures de réadaptation, de soutien psychologique, social et économique, etc.).
Dès lors que les effets et la menace de ces armes perdurent souvent dans le temps et l’environnement, plusieurs dispositions de ces traités visent à garantir l’enlèvement et l’élimination de leurs débris ainsi que la sécurisation et la dépollution des sols et des infrastructures qu’elles menacent. Afin d’aider les Etats dans cette lourde tâche, un système d’assistance mutuelle est généralement prévu entre les Etats Parties.
L’adoption de traités spécifiques permet également d’organiser et de mettre en place des mécanismes de contrôle, de rapportage, de surveillance ou de sanction en cas de violation. C’est le cas par exemple de la Convention sur les armes chimiques (1993) qui prévoit un système de vérification et de contrôle de ses dispositions (inspections, déclarations nationales relatives à la production chimique industrielle, création de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques, désignation/mise en place d’autorités nationales de contrôle, sanctions des violations graves de ses dispositions, etc.). Ces traités obligent également les Etats parties à prendre des mesures nationales de mise en œuvre visant notamment à sanctionner pénalement les personnes qui mèneraient toute activité interdite par leurs dispositions.
Enfin, il ne faut pas négliger la portée symbolique de ces traités qui permettent de renforcer la stigmatisation des armes prohibées et la sensibilisation aux souffrances qu’elles génèrent. Ils peuvent ainsi favoriser la reconnaissance progressive de l’utilisation de certaines armes comme crime de guerre dans le Statut de la CPI. Ces traités peuvent également dissuader les Etats qui ne les auraient pas ratifiés d’investir dans la mise au point et la production de nouvelles armes, sachant que celles-ci sont souvent très couteuses et peu rentables s’il y a un manque d’acheteurs potentiels.
Pour toutes ces raisons, le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge se positionne comme un acteur clé dans la promotion et l’adoption de ces traités, tout en veillant à leur application sur le terrain.