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Le Droit International Humanitaire

Pour une universalisation de la Convention sur les armes à sous-munitions

La première partie de la Seconde Conférence d’examen de la Convention sur les armes à sous-munitions prévue à l’origine à Lausanne, s’est déroulée virtuellement sous la présidence de la Suisse du 25 au 27 novembre 2020. La Conférence s’achèvera les 4-5 février 2021 sous un format hybride à Genève en vue d’adopter les décisions. Cependant, la première partie a déjà abordé certaines questions de fond dont l’introduction d’une déclaration politique et d’un nouveau Plan d’action 2021-2025 qui remplacera le Plan d’action de Dubrovnik de 2015-2020. L’examen du fonctionnement et de l’état de la Convention sera également discuté.

Une opportunité pour relancer son adhésion et sa mise en œuvre

Adoptée en 2008 et entrée en vigueur en 2010, la Convention sur les armes à sous-munitions est un traité de droit international humanitaire (DIH) ayant pour objet d’interdire de manière complète de telles armes qui causent d’importantes souffrances aux civils pendant et après un conflit armé. Elle résulte de l’engagement particulièrement proactif d’un certain nombre d’Etats et d’une étroite concertation avec la Société civile représentée par la Coalition contre les armes à sous-munitions et les organisations humanitaires telles que le CICR et les Sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. La Belgique a participé activement au processus d’adoption de la Convention et a en outre, été le premier Etat incluant dans sa législation nationale une interdiction des armes à sous-munitions avec l’appui de la Croix-Rouge de Belgique (interdiction reprise aujourd’hui dans la loi du 8 juin 2006 réglant des activités économiques et individuelles avec des armes, article 3, 4° et article 8). Face à l’essoufflement de l’adhésion des Etats à la Convention et à l’impact persistant des armes à sous-munitions à l’égard des civils dans les conflits ces dernières années, la Seconde Conférence d’examen constituera une opportunité pour redynamiser l’universalisation et la mise en œuvre effective de la Convention.

La Convention prévoit une interdiction complète des armes à sous-munitions en couvrant une large gamme d’activités. Les Etats parties s’engagent à ne jamais, en aucune circonstance, utiliser, mettre au point, produire, acquérir, stocker, conserver ou transférer d’armes à sous-munitions. En outre, ils ne peuvent aider, encourager ou inciter quiconque à s’engager dans une activité interdite par la Convention (article 1er, §1). Cette interdiction permet de répondre aux conséquences humanitaires provoquées par l’usage des armes à sous-munitions.

Armes à sous-munitions : deux préoccupations majeures

Pour rappel, les « armes à sous-munitions » ou « bombes à dispersion » constituent des armes qui dispersent ou libèrent des sous-munitions, c’est-à-dire des petites charges explosives non guidées qui sont larguées par avion ou hélicoptère, ou tirés de pièces d’artillerie au sol ou en mer (lance-roquettes, canons d’artillerie terrestres ou navales,…). Ces sous-munitions sont conçues pour exploser avant l’impact, à l’impact ou après celui-ci. Cependant, les armes à sous-munitions soulèvent deux préoccupations majeures. Tout d’abord, elles ne sont pas fiables car elles n’explosent pas forcément lorsqu’elles atteignent leur objectif. En moyenne, 10 à 40 % des sous-munitions n’explosent pas lors de leur impact et tuent ou blessent des civils même longtemps après la fin d’un conflit armé. Par exemple, le conflit armé au Sud-Liban en juillet-août 2006, a laissé près d’un million de sous-munitions non explosées. Plusieurs causes peuvent être à l’origine du dysfonctionnement des sous-munitions : la complexité du mécanisme d’allumage, les défauts de production, d’assemblage et de stockage, les conditions climatiques (vent violent, températures extrêmes) et la qualité du sol (marais, sable, terre,…). Ensuite, les armes à sous-munitions sont imprécises. Le déploiement des sous-munitions peut recouvrir une très grande superficie pouvant aller jusqu’à plusieurs dizaines de milliers de mètres carrés et pour une longue durée.

Le manque de fiabilité et l’imprécision des armes à sous-munitions ne sont donc pas sans conséquences pour les civils et leur utilisation est difficilement compatible avec les règles de base du droit international humanitaire, en particulier les principes de distinction, d’interdiction de toute attaque indiscriminée, de proportionnalité et de précaution, surtout dans les zones urbaines (voir en particulier le Premier Protocole additionnel de 1977 aux Conventions de Genève, articles 51, 52 et 57 et l’Etude du CICR sur le DIH coutumier, en particulier les règles 1-21). On estime en général que les civils représentent 99% des dommages causés par les armes à sous-munitions en raison de leurs effets indiscriminés, que ce soit dans le cadre de leur utilisation lors d’attaques ou en tant que restes explosifs de guerre (Rapport de l’Observatoire des sous-munitions publié en 2019).

Mettre définitivement fin à la menace sur la vie des civils

En complément de l’interdiction de toute activité visant à favoriser l’emploi d’armes à sous-munitions, des obligations supplémentaires sont prévues par la Convention pour les Etats parties qui possèdent des armes à sous-munitions ou qui en subissent les effets afin d’écarter définitivement tout danger à l’égard des civils. Ainsi, les Etats parties doivent prendre des mesures pour la destruction des stocks des armes à sous-munitions sous leur juridiction et leur contrôle, dans un délai de 8 ans. Ce délai peut être prolongé de 4 ans et, dans des circonstances exceptionnelles, des prolongations additionnelles d’une durée de 4 ans peuvent aussi être accordées. Il est toutefois permis de conserver un nombre limité de ces armes et de leurs sous-munitions explosives à des fins de formation au déminage (détection et enlèvement) et de mise au point des techniques de destruction (article 3).

Par ailleurs, les Etats parties s’engagent à enlever et à détruire les restes d’armes à sous-munitions (non explosées et abandonnées) sous leur juridiction ou sous leur contrôle, dans un délai de 10 ans au plus tard après l’entrée en vigueur de la Convention à leur égard. Si un Etat ne peut pas respecter ce délai, il peut demander des prolongations supplémentaires d’une durée de 5 ans au plus (article 4). Parallèlement à ces mesures, les Etats doivent réaliser des programmes d’éducation à la réduction des risques, de manière à alerter les civils vivant à l’intérieur ou à proximité des zones polluées sur les dangers posés par les armes à sous-munitions (ex : marquage et surveillance des zones ; sensibilisation de la population locale aux dangers). Enfin, les Etats parties s’engagent à prendre des mesures d’assistance aux victimes qui ne concernent pas seulement les personnes tuées ou blessées par ces armes, mais aussi les familles et les communautés qui ont subi des conséquences socio-économiques et autres (article 5).

Des armes qui continuent de tuer

On peut constater que les actions entreprises par les Etats parties conformément à la Convention ont abouti à des résultats non négligeables depuis son entrée en vigueur en 2010 : près de 1,5 million d’armes à sous-munitions et plus de 178 millions de sous-munitions ont été détruites dans les arsenaux de 36 Etats, ce qui représente plus de 99% du total des stocks déclarés par les Etats parties, et 560 kilomètres carrés de terres contaminées par des restes d’armes à sous-munitions ont été dépolluées et rendues à un usage civil. Par ailleurs, on compte 18 Etats parties et un Etat non partie qui ont cessé de fabriquer des armes à sous-munitions. Aucune utilisation présumée de ces armes par un Etat partie n’a été signalée depuis l’entrée en vigueur de la Convention (Document d’examen du Plan d’action de Dubrovnik, soumis par la Présidence de la deuxième Conférence d’examen, §§ 15 et 28 ; rapport de l’Observatoire des sous-munitions publié en 2019 et rapport de 2020 paru le 25 novembre).

Malgré ces efforts, les personnes civiles sont loin d’être hors de tout danger. La Convention de 2008 est loin d’être universelle : on compte 110 Etats parties aujourd’hui. Plusieurs Etats non parties à la Convention n’ont pas renoncé officiellement à la production d’armes à sous-munitions et environ 50 Etats parties à la Convention accumulent de telles armes, un nombre qui n’aurait globalement pas évolué au cours de ces cinq années (Document d’examen du Plan d’action de Dubrovnik, § 18). En outre, les armes à sous-munitions continuent de tuer ou de blesser des civils chaque année, en particulier dans les pays qui n’ont pas ratifié la Convention, comme en Syrie, au Yémen ou en Libye. Ces armes sont utilisées par les parties au conflit, y compris par des acteurs non étatiques. Plus de 3.000 et plusieurs centaines de dommages causés aux civils ont été constatés respectivement en Syrie et au Yémen depuis la dernière Conférence d’examen de la Convention en 2015. Récemment, des allégations d’utilisation d’armes à sous-munitions dans les zones urbaines ont été rapportées au sujet du conflit du Haut-Karabakh (Déclaration de la Présidence suisse de la Deuxième Conférence d’examen, 7 octobre 2020 et Communiqué de la Coalition contre les armes à sous-munitions, 31 octobre 2020).

Même si la Convention de 2008 ne lie pas les Etats non parties, ces derniers sont tenus de respecter les principes de DIH relatifs à la conduite des hostilités et prévus par la coutume, tels que le principe de distinction, l’interdiction des attaques indiscriminées, le principe de proportionnalité et le principe de précaution, autant de principes qui peuvent difficilement être respectés au regard de l’imprécision et du manque de fiabilité des armes à sous-munitions. Par ailleurs, les armes à sous-munitions continuent de contaminer en tant que restes explosifs de guerre, les territoires de nombreux pays, y compris des Etats parties à la Convention de 2008 comme l’Afghanistan, le Laos, l’Irak ou le Liban. Leur élimination est une tâche lente et dangereuse, nécessitant des moyens techniques, matériels et financiers importants surtout sur des terrains accidentés ou en zones urbaines. De nouvelles zones contaminées sont aussi découvertes après plusieurs années.

Les enjeux de la Seconde Conférence d’examen

En dehors de l’examen du fonctionnement et de l’état de la Convention de 2008, la Seconde Conférence d’examen devrait aboutir à l’adoption d’une déclaration politique et d’un nouveau Plan d’action pour la période de 2021-2025. Une déclaration politique forte et un Plan d’action complet et ambitieux sont essentiels pour redynamiser l’universalisation et la mise en œuvre de la Convention dix ans après son entrée en vigueur. La Déclaration encouragera les Etats parties et les organisations internationales engagées sur cette question à réaffirmer leur ferme détermination à atteindre l’objectif de la Convention, à savoir mettre un terme définitif aux souffrances et aux pertes en vies humaines causées par les armes à sous-munitions. Constatant la poursuite de l’utilisation d’armes à sous-munitions et leur impact humanitaire sur les civils, la Déclaration visera à condamner « l’emploi des armes à sous-munitions par qui que ce soit et quelles que soient les circonstances ». A cette fin, les participants à la Conférence d’examen s’engageront à promouvoir davantage les normes de la Convention de 2008 et à dialoguer avec les Etats pour mettre fin à l’utilisation, à la fabrication, au stockage et au transfert de ces armes. Ils encourageront l’adhésion universelle de la Convention et le renforcement de sa mise en œuvre conformément au Plan d’action de 2021-2025.

Le Plan d’action de Lausanne mettra en effet l’accent sur l’universalisation de la Convention de 2008 qui constitue une condition fondamentale pour parvenir à un monde exempt d’armes à sous-munitions. Si des progrès ont pu être constatés depuis la Première Conférence d’examen de 2015, le rythme des ratifications a tendance à diminuer, avec seulement 14 nouveaux Etats parties, un résultat moins bon que ceux observés dans le cadre d’autres traités en matière de désarmement. Ce résultat est par ailleurs bien en deçà de l’objectif fixé par le Plan d’action de Dubrovnik pour 2020, soit 130 Etats parties (§10). Il est donc nécessaire de redynamiser le processus d’universalisation en encourageant collectivement tous les Etats parties mais aussi certaines personnalités telles que les futurs présidents des Assemblées annuelles des Etats parties à dialoguer avec les Etats non parties. Une stratégie visant à promouvoir l’universalisation de la Convention et une réponse coordonnée à toute nouvelle utilisation d’armes à sous-munitions doivent ainsi être développées.

L’accomplissement des engagements des Etats parties dans les délais initialement fixés en matière de destruction des stocks et de dépollution des sols constituera l’autre principal enjeu du Plan d’action. Plusieurs demandes de prolongation ont été soumises face à la difficulté de respecter les délais initiaux. Les Etats parties devront élaborer un plan clair de destruction des stocks dont la date d’achèvement estimée respecte le délai initial fixé par la Convention, le cas échéant, en définissant des jalons assortis de délais et en indiquant le taux de destruction annuel et mensuel par type d’armes, ainsi que le nombre total d’armes à sous-munitions restant à éliminer. Ils devront aussi délimiter les zones encore affectées par les restes d’armes à sous-munitions qui se trouvent sous leur juridiction ou leur contrôle. Ils élaboreront des stratégies et des plans de travail nationaux pluriannuels incluant des projections quant à la superficie des zones contaminées à traiter chaque année pour respecter les délais initiaux. La conception d’un plan d’action national mesurable prenant en considération les besoins et les droits des victimes d’armes à sous-munitions figurera parmi les engagements afin de favoriser leur réadaptation physique et psychosociale et leur réinsertion socio-économique

Un engagement collectif pour un vrai changement

En tant qu’observateurs, le CICR et la Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge seront attentifs à accompagner les Etats dans la réalisation de leurs obligations lors des Assemblées annuelles des Etats parties conformément à la Convention (article 11, §3). Quant à la Croix-Rouge de Belgique, elle continuera de soutenir la Belgique afin de promouvoir l’universalisation, la mise en œuvre de la Convention et la coopération internationale entre les Etats à cette fin. La destruction des stocks d’armes à sous-munitions et la dépollution des zones contaminées ne concernent pas que les Etats directement affectés. Elles relèvent de la responsabilité collective de tous les Etats parties qui ont une obligation de fournir une assistance mutuelle s’ils sont en mesure de le faire (article 6).

Une collaboration entre les Etats, les organisations internationales et la société civile contribuera à mettre fin au danger des armes à sous-munitions qui pèse sur la vie d’innombrables civils durant et longtemps après un conflit.

 

Un article rédigé par Frédéric Casier, Conseiller juridique en droit international humanitaire à la Croix-Rouge de Belgique.