Protéger l’environnement naturel en période de conflit armé, retour sur notre conférence thématique du 28 novembre 2024

Le 28 novembre, la Croix-Rouge de Belgique a organisé une conférence intitulée « la protection de l’environnement naturel en temps de conflits armés », ouverte à tout public et constituant un moment de rencontre et d’approfondissement thématique pour nos inscrit.e.s de l’AcaDIHmie 2024. À cette occasion, Vaois Koutroulis (professeur de droit international à l’Université Libre de Bruxelles), Pauline Warnotte (conseillère juridique principale à la délégation du CICR auprès de l’Union Européenne, de l’OTAN et du Royaume de Belgique) et Jérôme de Hemptinne (professeur assistant de droit international pénal à l’Université d’Utrecht) ont partagé leur expertise et leur point de vue sur les récentes initiatives en la matière, enrichissant la réflexion sur ce sujet essentiel.
Les exposés de nos experts ont rappelé que les conflits armés représentent une menace majeure pour l’environnement. Ils provoquent la destruction des écosystèmes et de la biodiversité, la contamination des ressources naturelles, de même que l’affaiblissement des institutions et politiques publiques œuvrant à la protection de l’environnement et la dégradation des infrastructures essentielles. Ces effets, directs et indirects, se cumulent généralement à ceux du changement climatique, compromettent durablement la capacité des populations à subvenir à leurs besoins. Notamment, 60 % des 20 pays les plus vulnérables au changement climatique sont également touchés par des conflits armés. Dans ce contexte, protéger l’environnement naturel en période de conflit armé apparaît comme un enjeu humanitaire et juridique de première importance.
Cette protection repose sur deux approches complémentaires qui orientent les cadres juridiques et les pratiques internationales. D’une part, une vision anthropocentrique met en avant la nécessité de préserver l’environnement naturel en raison de son rôle essentiel pour la survie des populations humaines. L’environnement naturel est alors protégé de manière indirecte lorsqu’il est reconnu comme un bien civil en général auquel les principes de distinction, précaution et proportionnalité s’appliquent, ou comme un bien civil spécifique : un bien sous contrôle de l’ennemi (article 23, 55 Règlement de la Haye; article 55, 147 CG IV ; CICR Règle 50), un élément indispensable à la survie des populations (article 54 PA I, article 14 PA II, CICR Règle 54), une installation contenant des forces dangereuses (article 56 PA I, article 15 PA II, CICR Règle 42), ou encore un bien culturel (article 4, Convention de la Haye de 1954, CICR Règle 38). Cette protection s’appuie également sur la régulation de l’usage de certaines armes susceptibles de causer des dommages environnementaux (à titre d’exemple, CCW Protocol III sur les armes incendiaires ; CCW Protocol V sur les restes explosifs de guerre). D’autre part, une vision écocentrique considère que l’environnement possède une valeur intrinsèque et mérite une protection en tant que tel, indépendamment de ses liens avec les besoins humains. Le Protocole additionnel I aux Conventions de Genève de 1949 interdit ainsi toute attaque ou tout recours à des moyens de guerre susceptible de causer des dommages étendus, graves et durables à l’environnement naturel (article 35(3) et 55(1), PA I). De plus, la Convention ENMOD prohibe les techniques de modification de l’environnement à des fins hostiles ou militaires.
Néanmoins, ces règles voient leur application insuffisante, leur valeur coutumière débattue et leur contenu sujet à interprétation. Le Comité International de la Croix-Rouge, dans son étude du droit international humanitaire coutumier, affirme la valeur coutumière de l’application des principes généraux de la conduite des hostilités à l’environnement naturel, tant en conflits armés internationaux que non-internationaux (Règle 43). Le respect dû à l’environnement naturel dans les opérations militaires (Règle 44) et l’interdiction d’employer des moyens et méthodes de guerre causant des dommages étendus, durables et graves à l’environnement naturel (Règle 45) découlant du Protocole additionnel I pourraient également s’appliquer en conflits armés non-internationaux. Cependant, cette dernière interdiction reste controversée. Certains États rejettent son caractère coutumier en adoptant une position d’objecteurs persistants, ce qui limite sa portée universelle. Par ailleurs, les termes utilisés pour qualifier les dommages environnementaux – « étendus, durables et graves » – manquent de clarté, ce qui rend leur interprétation incertaine. Un parallèle avec l’interprétation donnée par la convention ENMOD, qui emploie les mêmes termes, semble exclu par les Accords interprétatifs de ladite convention. En vertu de ces Accords, l’interprétation de ces termes ne peut s’étendre à leur utilisation dans le cadre d’autres accords internationaux, ce qui inclut le Protocole additionnel I aux Conventions de Genève. L’objet des deux traités diffère en effet : le Protocole additionnel I traite des dommages causés à l’environnement naturel par toute méthode ou tout moyen de guerre, tandis que la Convention ENMOD régit l’utilisation intentionnelle et hostile de techniques de modification de l’environnement naturel.
Face à ce constat, le CICR a publié en 2020 la mise à jour des Directives sur la protection de l’environnement naturel en période de conflit armé destinées principalement aux Etats et aux parties aux conflits ; cette publication est suivie deux ans plus tard de l’adoption par la Commission du droit international de son projet de principes visant à renforcer cette protection de façon complémentaire en prévoyant également des mesures à prendre par les Etats et les organisations internationales avant et après un conflit armé. Ces textes, qui prennent en considération les derniers développements du droit international applicable dans les conflits armés, témoignent d’une volonté collective de clarifier l’interprétation des règles pertinentes du DIH et d’assurer leur mise en œuvre nationale afin de mieux protéger l’environnement naturel dans les contextes de conflit armé. A cet égard, le renforcement de la diffusion des règles de DIH relatives à la protection de l’environnement naturel et leur intégration dans la législation, les politiques et les pratiques militaires nationales, constituent un enjeu primordial aujourd’hui.
Enfin, a été questionnée l’applicabilité des crimes internationaux existants tels que définis par le Statut de Rome, aux atteintes à l’environnement naturel. Selon l’un des intervenants, bien que des atteintes environnementales puissent, dans certaines conditions, constituer des éléments des quatre crimes internationaux – crimes de guerre, crime de génocide, crimes contre l’humanité et crime d’agression –, cette protection reste indirecte. En effet, ces crimes sont principalement centrés sur les conséquences pour les populations humaines, et non sur l’environnement en tant que tel.
L’émergence du concept de crime d’écocide dans certains cadres nationaux (voir le projet de nouveau Code pénal belge par exemple) et les discussions autour de son adoption au niveau international, notamment en marge de l’Assemblée des Etats parties au Statut de Rome, offrent une perspective intéressante pour combler cette lacune. Toutefois, son adoption sur la scène internationale se heurte à plusieurs obstacles. D’une part, l’absence de consensus sur sa définition freine les avancées. D’autre part, la capacité de la Cour pénale internationale à intégrer un nouveau crime dans sa compétence reste incertaine. Enfin, le contexte géopolitique actuel semble compromettre les négociations internationales nécessaires pour une telle reconnaissance. Face à ces défis, d’autres pistes pourraient être explorées. Des initiatives régionales pourraient permettre d’instaurer des mécanismes de répression adaptés aux réalités locales, telle que c’est le cas dans l’Union Européenne avec l’accord européen sur la criminalité environnementale. De même, la création de tribunaux spécifiques, mis en place a posteriori pour juger les crimes environnementaux dans un contexte précis, pourrait offrir une alternative pragmatique.