Les personnes porteuses d'un handicap, victimes oubliées des conflits armés
Pour l’édition 2020 du concours interuniversitaire de DIH, la Croix-Rouge de Belgique avait choisi comme thématique centrale la situation des personnes porteuses d’un handicap dans les conflits armés. Ce choix était entre autres guidé par le constat que les obstacles et les discriminations que ces personnes peuvent rencontrer dans leur quotidien en situation de paix se voient clairement exacerbés dans un contexte de conflit armé.
Etre porteur·euse d’un handicap au quotidien…
Selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) , les personnes porteuses d’un handicap, que ce soit sur le plan sensoriel, physique, psychosocial et/ou intellectuel, représentent 15 % de la population mondiale (soit 1 milliard de personnes !) et constituent ainsi la plus importante minorité au monde. Cette statistique est par ailleurs en constante augmentation du fait de la croissance démographique, des avancées de la médecine et du vieillissement de la population. En temps normal, il est reconnu que ces personnes doivent faire face à de nombreux défis dans leurs vies de tous les jours, en particulier dans les domaines de l’emploi, de l’éducation et de l’accès aux services essentiels (soins de santé, eau, assainissement, abri ou nourriture).
… et en temps de guerre
Il est dès lors inquiétant de constater que ces difficultés se voient exacerbées en contexte de conflit armé. Parfois contraintes de fuir pour se mettre en sécurité, il arrive que les personnes porteuses d’un handicap doivent abandonner leurs équipements et appareils d’aide à la mobilité. En temps de guerre, l’accès aux services sanitaires et sociaux peut être rendu difficile, voire impossible, pour ces personnes, soit du fait d’une inaccessibilité physique, soit parce que l’information relative aux services disponibles n’est pas communiquée de manière adaptée. En outre, elles sont davantage exposées au risque de subir des violences, y compris sexuelles ou basées sur le genre et dans les lieux de détention, elles peuvent rencontrer de grandes difficultés à obtenir des soins adaptés. Enfin, les personnes handicapées présentent également plus de probabilité de se faire tuer ou blesser pendant les hostilités du fait de l’inadéquation à leur situation de mécanismes tels que les avertissements donnés à la population civile avant une attaque ou les évacuations. Sans compter que les conflits armés ont pour effet d’augmenter le nombre de personnes porteuses d’un handicap, en raison des invalidités consécutives aux blessures subies, du niveau inadéquat des soins médicaux et chirurgicaux dispensés dans ce type de contexte, de l’effondrement des structures de soutien et de soins de santé préventifs et des effets du conflit sur la santé mentale de la population.
Une protection octroyée par le DIH…
Le droit international humanitaire (DIH) et le droit international des droits de l’homme (DIDH) se complètent l’un l’autre pour offrir une protection aux personnes porteuses d’un handicap en temps de conflit armé. S’appliquant uniquement en temps de conflit armé, le DIH vise à restreindre, pour des raisons humanitaires, les effets néfastes des conflits armés, en protégeant celles et ceux qui ne participent pas ou plus aux hostilités et en limitant le choix des moyens et des méthodes de guerre. En vertu du DIH, les personnes porteuses d’un handicap bénéficient de la protection générale accordée aux civils et aux personnes hors de combat, sans aucune distinction de caractère défavorable. Ceci implique l’obligation de traiter les personnes handicapées avec humanité en toutes circonstances, l’obligation d’autoriser et de faciliter l’accès aux secours humanitaires et la protection contre les attaques directes et les attaques sans discrimination. De plus, la protection accordée par le DIH aux blessés et malades s’applique aux personnes handicapées, tel que l’indique l’article 8, alinéa a du premier Protocole additionnel de 1977 qui définit les termes « blessés » et « malades ». Un certain nombre de traités relatifs aux armes visent en outre à prévenir certains handicaps en interdisant l’utilisation d’armes spécifiques et en limitant les risques qu’elles présentent. Ils ont également pour objectif de permettre aux victimes de bénéficier d’une assistance appropriée.
…mais aussi par le droit international des droits de l’homme
Le droit international des droits de l’homme (DIDH) s’applique quant à lui en temps de paix, mais également en temps de guerre. Faisant partie intégrante du DIDH, la Convention des Nations Unies du 13 décembre 2006 relative aux Droits des Personnes Handicapées dispose de manière expresse à son article 11 qu’elle continue à s’appliquer en contexte de conflit armé à côté du DIH. Reconnaissant que toutes les personnes sont égales devant la loi et en vertu de celle-ci et ont droit sans discrimination à l’égale protection et à l’égal bénéfice de la loi, la Convention de 2006 interdit toutes les discriminations fondées sur le handicap et garantit aux personnes handicapées une égale et effective protection juridique contre toute discrimination. Il est important de noter qu’alors que le DIH impose des obligations aux parties au conflit, qu’il s’agisse d’États ou de groupes armés organisés, les obligations prévues par les traités de DIDH ne lient que les États qui y sont parties.
Une prise en compte indispensable des droits et besoins des personnes porteuses d’un handicap
Malgré ce cadre juridique existant, force est de constater que l’attention accordée à la question du handicap dans les conflits armés demeure anecdotique, car considérée comme hautement spécifique. Cependant, un rapport publié en avril 2019 par l’Académie de Genève de droit international humanitaire et de droits humains pourrait pourtant bien changer la donne. Fruit d’une recherche menée pendant deux années selon une méthodologie mêlant recherche documentaire et recherche de terrain, ce rapport délivre diverses conclusions assorties de recommandations destinées à améliorer la mise en œuvre des droits et protections accordées aux personnes porteuses de handicap en situation de conflit armé. Cette étude part du constat que l’impact des conflits armés sur les personnes handicapées est largement ignoré, en ce compris par les parties au conflit et les acteurs humanitaires. Par conséquent, toujours selon cette étude, le DIH, dont l’objet est pourtant de restreindre les effets néfastes des conflits armés, est à l’heure d’aujourd’hui appliqué de manière telle qu’il ne prend pas en compte les besoins et spécificités des personnes porteuses d’un handicap. Rappelant que la Convention des Nations Unies du 13 décembre 2006 relative aux Droits des Personnes Handicapées continue de s’appliquer aux situations de conflit armé , le rapport soutient que les règles de DIH devraient être mises en œuvre d’une manière telle qu’elles se conforment aux droits fondamentaux prévus dans la Convention de 2006, à savoir l’égalité et la non-discrimination. Un traitement différencié, en ce compris des aménagements raisonnables, devrait être appliqué afin de s’assurer que les protections offertes par le DIH soient appliquées de manière non-discriminatoire.
Un guide de bonnes pratiques pour réfléchir à la problématique
Le rapport donne ainsi quelques exemples d’application du DIH prenant en compte les droits et besoins des personnes porteuses d’un handicap (disability inclusive perspective). L’un de ces exemples concerne l’obligation, prévue par le DIH, de donner un avertissement à la population civile en temps utile et par des moyens efficaces, à moins que les circonstances ne le permettent pas. Le rapport soutient qu’en l’état actuel, les parties au conflit ne prêtent pas attention à la question de savoir si l’avertissement est accessible aux personnes porteuses d’un handicap. Le rapport donne ensuite des exemples de formats d’avertissements accessibles : dépliants avec écriture en braille ou en gros caractères, alertes au moyens d’applications et de dispositifs d’assistance de même que par le biais de la radio ou de la télévision lorsque cela est possible. Le rapport souligne en outre l’importance qu’il soit accordé un temps suffisant aux personnes porteuses d’un handicap se trouvant dans les environs de l’attaque pour réagir à l’avertissement donné, soit en se faisant évacuer, soit en se mettant à l’abri. D’autres exemples sont donnés et portent respectivement sur la conduite des hostilités (proportionnalité et précaution dans l’attaque) et sur le traitement de personnes civiles ou de prisonniers de guerre porteurs d’un handicap. Ayant le mérite de documenter l’impact des conflits armés sur les personnes porteuses d’un handicap et d’envisager la manière dont le DIH et le DIDH peuvent se compléter sur ce point, on ne peut qu’espérer que ce rapport contribue à susciter une réflexion approfondie autour de cette problématique, point de départ d’une prise en compte effective des droits et des besoins des personnes handicapées dans les conflits armés.
Un article rédigé par Julie Latour, Référente pour la diffusion du Droit international humanitaire à la Croix-Rouge de Belgique.