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Le Droit International Humanitaire

Cinquième Conférence d’examen des Etats parties à la Convention sur l’interdiction des mines antipersonnel

Le CICR distribue des brochures aux enfants afin de les informer sur les dangers des mines.

L’enjeu de préserver les normes de la Convention

La 5e Conférence d’examen des Etats parties à la Convention sur l’interdiction des mines antipersonnel adoptée en 1997 s’est tenue à Siem Reap (Cambodge), du 25 au 29 novembre 2024. Elle a constitué une opportunité pour les Etats parties, dont la Belgique, de réaffirmer leur volonté d’honorer leurs engagements afin de mettre définitivement fin aux mines antipersonnel. Si ce traité figure parmi les instruments juridiques de droit international humanitaire (DIH) les plus emblématiques, certains Etats parties ont récemment annoncé qu’ils envisageaient d’utiliser de nouveau des mines antipersonnel, voire de se retirer de la Convention, face à des menaces préoccupantes sur leur sécurité. Il s’agit d’une tendance inquiétante qui s’observe aussi au sujet de la Convention sur les armes à sous-munitions (voir la déclaration conjointe du CICR et de la FICR lors de la 12e réunion des Etats parties à cette convention, 10 septembre 2024).

Une délégation du CICR et une délégation de la FICR composée de plusieurs Sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, étaient présentes à Siem Reap afin d’encourager l’universalisation de la Convention, de préserver son intégrité et d’assurer sa mise en œuvre effective dans ce contexte international particulier et face à une recrudescence des victimes de mines antipersonnel. Ces recommandations ont aussi été relayées par la Croix-Rouge de Belgique auprès des autorités belges.

Un traité de droit international humanitaire emblématique

La Convention de 1997 sur l’interdiction des mines antipersonnel est l’un des traités de DIH les plus emblématiques en matière de désarmement. Il a pour but de mettre fin aux conséquences humanitaires inacceptables de l’utilisation de ces armes qui frappent encore les personnes civiles sans discrimination.

Rappelons que cette convention interdit en toutes circonstances aux Etats parties l’emploi, la mise au point, la production, l’acquisition, le stockage et le transfert direct ou indirect des mines antipersonnel. Elle interdit en outre, d’assister, d’encourager ou d’inciter, de quelque manière, quiconque à s’engager dans ce type d’activités. Les Etats ont également l’obligation de détruire de tels engins explosifs, c’est-à-dire les stocks en leur possession ou sous leur juridiction ou contrôle (article 4), ou ceux qui se trouvent dans les zones contaminées sous leur juridiction ou leur contrôle (article 5).

Les mines antipersonnel renvoient à toute « mine conçue pour exploser du fait de la présence, de la proximité ou du contact d’une personne et destinée à mettre hors de combat, blesser ou tuer une ou plusieurs personnes ». Elles excluent en revanche, les mines conçues pour exploser du fait de la présence, de la proximité ou du contact d’un véhicule, qui sont équipées de dispositifs antimanipulation (voir la définition à l’article 2.1 de la Convention).

Au regard de leurs caractéristiques, l’interdiction des mines antipersonnel prévue par la Convention de 1997 se fonde légitimement sur plusieurs principes de DIH (Protocole additionnel I aux Conventions de Genève ; Etude du CICR sur le DIH coutumier) : la limitation du droit des parties aux conflits de choisir les moyens ou méthodes de guerre, l’interdiction de causer des maux superflus ou des souffrances inutiles, le principe de distinction entre civils et combattants et l’interdiction d’employer des moyens de guerre de nature à frapper sans discrimination.

L’usage des mines antipersonnel provoque en effet des conséquences néfastes à l’égard de la population civile et engendre un impact socio-économique non négligeable. De tels engins explosifs peuvent causer des blessures extrêmement graves aux personnes qui sont en contact telles que l’amputation de membres, des blessures par éclats, des brûlures, des pertes de la vue et de l’ouïe. Les victimes subissent également un traumatisme psychologique découlant de leurs blessures. Par ailleurs, l’utilisation des mines antipersonnel engendre des coûts économiques importants : les victimes doivent endurer des frais de soins de santé, les infrastructures de base (électricité, eau potable et assainissement) des zones contaminées ne peuvent pas être reconstruites et les zones agricoles contaminées ne peuvent plus être exploitées en raison du danger persistant des mines pendant plusieurs années.

Un enjeu humanitaire qui reste préoccupant

Si des avancées considérables ont pu être constatées depuis l’adoption de la Convention, dans le cadre son universalisation et de sa mise en œuvre, des tendances inquiétantes ont émergé ces dernières années.

Des nouveaux cas d’utilisation de mines antipersonnel, dont des engins explosifs improvisés, par des groupes armés étatiques et non étatiques ont été signalés, notamment en Colombie, en Inde, au Pakistan, en Ukraine, au Myanmar, au Moyen-Orient et au Sahel. Par conséquent, le nombre de victimes a augmenté de manière inquiétante. En 2022, au moins 4.710 personnes ont été tuées ou blessées par des mines ou des restes explosifs de guerre : les civils représentaient environ 85% de l’ensemble des victimes recensées, dont presque la moitié étaient des enfants. En 2023, ce sont au moins 5.757 personnes tuées ou blessées qui étaient à déplorer, avec 84% de civils figurant parmi celles-ci et dont les enfants représentaient plus d’un tiers (Landmine Monitor reports 2023 et 2024).

Par ailleurs, la Convention de 1997 compte aujourd’hui 164 Etats parties, mais le rythme d’adhésions stagne depuis plusieurs années. Aucun Etat n’a plus ratifié ou adhéré à la Convention depuis les adhésions de la Palestine et du Sri Lanka en décembre 2017.

Au-delà de l’essoufflement de l’universalisation de la Convention, la pertinence et l’intégrité de celle-ci ont récemment été remises en cause à la suite des déclarations de certains Etats parties envisageant de nouveau l’utilisation des mines antipersonnel, voire un potentiel retrait de la Convention, face au contexte international plus instable et plus menaçant pour leur sécurité et à l’éventualité d’un conflit armé. Un tel discours est difficilement entendable. Invoquer de telles raisons pour renoncer aux obligations de la Convention de 1997 revient à aller à l’encontre de la raison d’être du DIH qui a justement pour but d’atténuer les effets des conflits armés, mais aussi à l’encontre des règles et principes du DIH en matière de conduite des hostilités qui sont les fondements de l’interdiction explicite des mines antipersonnel.

La mise en œuvre effective de la Convention reste aussi un enjeu important. On constate que 94 Etats ont officiellement achevé la destruction de leurs stocks de mines antipersonnel, soit un total de plus de 55 millions de mines. En revanche, les avancées sur le nettoyage des zones contaminées par les mines restent encore trop limitées. En 2023, les Etats parties ont déclaré avoir nettoyé une superficie de 281.50 km² aboutissant ainsi à la destruction de 160.566 mines antipersonnel. Cependant, de nombreux Etats introduisent régulièrement des demandes de prolongation mais peu sont en mesure de répondre aux échéances faute d’un plan précis et de moyens nécessaires. De plus, l’assistance aux victimes demeure fragile : les services de soins de santé et de réhabilitation demeurent sous-financés et font face à de multiples défis dans plusieurs pays, tels que l’accessibilité, l’expertise et la qualité des infrastructures (Landmine Monitor report 2024). Enfin, l’adoption de mesures législatives, réglementaires et autres, dont l’adoption de sanctions pénales, pour prévenir toute activité interdite par la Convention (article 9) doit être mieux encouragée car cela contribue à l’effectivité du traité (CICR, Le droit international humanitaire et les défis posés par les conflits armés contemporains – Rapport, 2024, p. 52).

Des engagements encourageants pour les cinq prochaines années

Malgré ce contexte international particulier, la 5e Conférence d’examen de la Convention d’interdiction des mines antipersonnel qui s’est tenue en novembre dernier avec 89 Etats parties, a pu aboutir à des résultats substantiels, via l’adoption d’une déclaration finale forte, d’un plan d’action 2025-2029 détaillé et ambitieux et d’un rapport final contenant des décisions et recommandations concrètes.

Tout d’abord, les participants ont réaffirmé la pertinence et l’urgence d’atteindre un monde sans mines antipersonnel. Ils ont condamné l’utilisation de ces engins explosifs par tout acteur et appelé urgemment les Etats et parties au conflit à se conformer à leurs obligations, notamment au regard du DIH, et de la Convention pour les Etats parties. Il s’agit d’une déclaration importante qui réaffirme qu’au-delà de la Convention de 1997, les parties au conflit, dont les groupes armés non étatiques et les Etats non parties, sont tenues par les règles et principes de base du DIH qui impliquent de ne pas faire usage des mines antipersonnel.

Plusieurs Etats n’ont pas hésité à partager leurs inquiétudes quant aux récentes déclarations de certains de revenir sur leurs engagements en vertu de la Convention de 1997 pour des motifs de sécurité, ou aux annonces faites par d’autres de transférer des mines antipersonnel. Reconnaissant que ces déclarations mettent à rude épreuve les normes de la Convention de 1997, ils ont appelé fermement les Etats parties à respecter pleinement celle-ci, ce qui a permis de réaffirmer sa pertinence dans le contexte international actuel (voir notamment la déclaration prononcée par la Nouvelle-Zélande au nom de 25 Etats dont la Belgique).

Ensuite, la Conférence a reconnu que l’universalisation de la Convention était loin d’être achevée et a engagé les Etats parties à intensifier leurs efforts diplomatiques pour appeler les Etats non parties à adhérer immédiatement à la Convention. Il est intéressant de souligner que 11 Etats non parties étaient présents à la Conférence, ce qui leur a permis de mieux connaître l’objet et le but de la Convention, mais aussi de se familiariser avec ses obligations dans l’optique d’une adhésion future.

En outre, le Plan d’action et le rapport final prévoient des mesures visant à contribuer à la mise en œuvre des obligations des Etats parties en matière de destruction des stocks, de nettoyage des zones contaminées, d’éducation et de réduction des risques, d’assistance aux victimes de façon plus inclusive, de coopération internationale, et de mesures juridiques nationales.

Concernant plus spécifiquement le nettoyage des zones contaminées, les Etats parties concernés doivent s’assurer que les demandes de prolongation doivent contenir des plans de travail détaillés et multi-annuels, fondés sur des données probantes, contenant des coûts dûment évalués, et adaptés au contexte spécifique (action 23 du Plan d’action). Cependant, face au nombre croissant des demandes de prolongation (plus de 14 demandes attendues en 2025), le CICR et la FICR avaient espéré que la Conférence prendrait des mesures plus concrètes durant les cinq prochaines années afin d’enrayer cette tendance négative qui entrave sérieusement l’objectif de la Convention de mettre fin aux mines antipersonnel telles que : la mise en place d’un groupe d’experts visant à soutenir une analyse plus rigoureuse des demandes de prolongation ; l’octroi d’une courte prolongation en l’absence de plans nationaux détaillés de décontamination des zones ; la nomination d’un émissaire de haut niveau sur la question ; la décision d’établir dès à présent un fonds pour appuyer les Etats affectés à mettre en œuvre leurs plans de travail (voir la déclaration conjointe du CICR et de la FICR). Il faut cependant constater que ce dernier point n’est pas abandonné étant donné que les Etats ont convenu d’« explorer la faisabilité » d’établir un tel fonds volontaire d’affectation et de prendre une décision à cet égard pour 2026 au plus tard (action 44 du Plan d’action).

Tant que les mines antipersonnel subsistent dans les zones contaminées et qu’elles représentent donc un danger pour la population civile, il est fondamental que des mesures d’éducation aux risques restent une priorité. En cela, la Conférence a pris la décision d’inclure ce point à l’agenda des réunions des Etats parties et des réunions intersessions et de désigner un point focal sur cette question au sein du Comité chargé d’assurer le suivi de l’obligation de nettoyer les zones contaminées (rapport final, § 40).

Enfin, les Etats qui ne l’auraient pas encore fait, doivent instamment prendre toutes les mesures législatives, réglementaires et autres, pour mettre en œuvre les obligations de la Convention et rapporter sur ces mesures dès que possible et au plus tard en 2025 (action 48 du Plan d’action). Ainsi, la mise en œuvre nationale, dont l’adoption de sanctions pénales pour les actes de violation des obligations de la Convention, est considérée comme une priorité, ce qui rejoint le souhait exprimé par le CICR durant la Conférence (voir la déclaration du CICR).

Le CICR sensibilise des personnes déplacées aux dangers des mines.
Le CICR sensibilise les personnes déplacées aux dangers des mines.

La nécessité de préserver l’intégrité de la Convention et de promouvoir son respect

Les récents évènements remettant en cause la pertinence et l’intégrité de la Convention sur l’interdiction des mines antipersonnel, illustrent une tendance inquiétante mais ne doivent pas occulter l’impact bénéfique de la Convention et les réalisations effectuées en faveur d’une meilleure protection de la population civile depuis son adoption, en particulier le nombre important d’Etats parties à la Convention et la pratique de plusieurs Etats non parties adhérant à l’interdiction de l’utilisation des mines antipersonnel, la destruction des stocks et la poursuite du nettoyage des zones contaminées.

Les conséquences humanitaires inacceptables que les mines antipersonnel continuent d’infliger aux personnes civiles pendant et après les conflits armés, et la tendance de certains Etats parties à envisager de nouveau leur utilisation, démontrent plus que jamais la pertinence de cette Convention qui est l’un des traités de DIH les plus connus et soutenus jusqu’à présent. La 5e Conférence d’examen des Etats parties a en effet été l’occasion pour les délégations gouvernementales de réaffirmer leur attachement à l’objet et au but de la Convention et à la nécessité de poursuivre son universalisation et sa mise en œuvre effective.

A l’instar de la Convention sur les armes à sous-munitions, le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge restera vigilant pour continuer de sensibiliser aux souffrances générées par l’utilisation des mines antipersonnel et de promouvoir dès lors l’universalisation de la Convention et son respect, en particulier les obligations relatives à l’interdiction, les engagements des Etats parties relatifs au déminage des zones contaminées et à la destruction des stocks existants dans les meilleurs délais, et les mesures législatives dont les sanctions pénales à appliquer à quiconque commet une activité interdite par la Convention. Le Mouvement a d’ailleurs pris des engagements en ce sens lors de son Conseil des Délégués en octobre 2024 (résolution 3, §§ 10-12). Il encouragera aussi l’ensemble des parties aux conflits à ne pas faire usage de mines antipersonnel conformément aux règles et principes de base du DIH.

Cependant, de tels efforts ne pourront aboutir sans une implication de toutes les parties prenantes, dont les Etats parties à la Convention de 1997. A cet égard, ces derniers ont la responsabilité première de dénoncer les comportements contraires aux normes définies dans la Convention et de condamner sans équivoque toute utilisation de mines antipersonnel par qui que ce soit et quelles que soient les circonstances. Toute absence de réaction reviendrait à accepter le lourd tribut aux personnes civiles et la remise en cause de normes essentielles acquises de longue date.

Un article rédigé par Frédéric Casier, Conseiller juridique en DIH à la Croix-Rouge de Belgique