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Le Droit International Humanitaire
12.08.2024 |

Les Conventions de Genève, 75 ans après leur adoption : Des règles communes d’humanité toujours d’application dans les conflits armés

Cette année marque le 75e anniversaire des quatre Conventions de Genève adoptées le 12 août 1949 par les Etats à l’issue d’une Conférence diplomatique organisée par le Gouvernement suisse.

Aujourd’hui ratifiées par l’ensemble des Etats à travers le monde, les Conventions sont universelles et constituent la pierre angulaire du droit international humanitaire (DIH). Ce dernier vise à atténuer les effets néfastes des conflits armés en protégeant les personnes qui ne participent pas ou plus aux hostilités et en limitant le choix des moyens et des méthodes de guerre. Les Conventions de Genève contribuent particulièrement à la protection des personnes au pouvoir d’une partie au conflit. Elles sont complétées par leurs deux Protocoles additionnels de 1977 qui renforcent la protection de ces personnes et règlementent la conduite des hostilités.

Selon le CICR, il y aurait plus de 120 conflits armés dans le monde, un chiffre en constante augmentation. Plus de 60 Etats et 120 groupes armés non étatiques y seraient directement impliqués. Les conséquences dévastatrices et les souffrances humaines considérables des conflits armés nous rappellent que les Conventions de Genève constituent un instrument de régulation essentiel pour y répondre.

 

Le développement des Conventions de Genève de 1864 à 1949 : le respect de la dignité humaine dans les conflits armés comme principe directeur

 Les quatre Conventions de Genève sont le fruit d’un long processus qui remonte à 1864, il y a donc 160 ans. A travers le développement et la révision progressifs des Conventions de Genève initiés par le CICR, les Etats ont cherché constamment à répondre au mieux aux souffrances humaines en tenant compte non seulement de l’évolution des moyens et méthodes de guerre et de l’ampleur des hostilités mais aussi de la diversité des personnes affectées par les conflits armés.

Adoptée en 1864, la Convention de Genève pour l’amélioration du sort des militaires blessés dans les armées en campagne prévoit l’obligation de recueillir et soigner les combattants blessés ou malades sans aucune distinction basée sur la nationalité, la protection du personnel médical, de ses établissements et unités, et la reconnaissance du signe distinctif de la croix rouge sur fond blanc pour identifier cette protection. Cette convention est ensuite révisée en 1906, 1929 et finalement en 1949. Elle contient désormais une protection élaborée des militaires blessés et malades, du personnel sanitaire et religieux, et des unités et transports sanitaires. Elle prévoit en outre la possibilité d’établir des zones et localités sanitaires pour protéger les blessés et malades contre les effets des hostilités.

La Conférence diplomatique de 1949 adopte également trois autres Conventions afin de protéger d’autres personnes, qu’elles soient militaires ou civiles.

La Deuxième Convention de Genève pour l’amélioration du sort des blessés, des malades et des naufragés des forces armées sur mer, reprend les dispositions de la Première Convention de Genève afin de protéger spécifiquement les membres des forces armées hors de combat sur mer, le personnel sanitaire et religieux leur venant en aide, et les transports sanitaires tels que les navires-hôpitaux et les aéronefs sanitaires.

La Troisième Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre, remplace la Convention de 1929 sur le même sujet, et étend le statut de prisonnier de guerre à d’autres catégories de personnes, au-delà des membres des forces armées d’une partie au conflit. Elle définit aussi plus précisément les conditions de captivité, règlemente le transfert des prisonniers d’un Etat à l’autre et établit le principe selon lequel les prisonniers doivent être libérés et rapatriés sans délai après la cessation des hostilités actives.

La Quatrième Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre constitue le premier traité qui protège de manière complète et spécifique les personnes civiles dans les conflits armés. Contenant 159 articles, elle constitue la plus longue des quatre Conventions de Genève et par conséquent, l’une des avancées les plus importantes du DIH. Son rôle est loin d’être négligeable encore aujourd’hui étant donné que la plupart des victimes des conflits armés contemporains sont des civils. Elle introduit des dispositions sur la protection générale des civils contre les conséquences des conflits armés, et sur le statut et le traitement des personnes protégées, internées ou en liberté. Toutes les personnes civiles doivent ainsi être traitées avec humanité sans aucune distinction de caractère défavorable. Elles doivent recevoir les soins nécessaires si elles sont blessées ou malades, avoir accès aux biens indispensables à leur survie et bénéficier du droit de maintenir ou de rétablir les liens avec leurs familles dispersées par la guerre. La Convention prévoit en outre des règles de protection pour les civils en territoire occupé et un régime détaillé des personnes internées pour des raisons de sécurité basé sur le modèle de la Convention Genève applicable aux prisonniers de guerre.

 

Des garanties communes en vue d’une protection effective

 Les quatre Conventions de Genève contiennent des règles communes qui assurent un champ d’application large et prévoient des garanties pour une protection effective. Cinq exemples peuvent être soulignés.

Tout d’abord, les Conventions prévoient explicitement que les Etats parties s’engagent à les respecter et à les faire respecter en toutes circonstances. Les droits protégés par les Conventions sont d’une importance si fondamentale que tous les Etats doivent non seulement les appliquer sans aucune exception, mais veiller aussi à ce qu’elles soient respectées par les autres parties à un conflit, en évitant de les encourager, aider ou assister dans les violations de ces conventions et en effectuant tout ce qui est raisonnablement en leur pouvoir pour prévenir et mettre fin à de telles violations.

Par ailleurs, les droits prévus par les Conventions de Genève sont intangibles et ne peuvent être restreints. Ils sont aussi inaliénables dans la mesure où les personnes protégées ne peuvent en aucun cas y renoncer partiellement ou totalement.

Si l’ensemble des Conventions de Genève s’appliquent aux conflits armés internationaux, l’article 3 commun à ces conventions prévoit quelques règles de base en matière de respect de la dignité humaine dans les conflits armés non internationaux. Les personnes qui ne participent pas ou plus aux hostilités, doivent être traitées avec humanité sans aucune distinction de caractère défavorable et celles qui sont blessées et malades doivent être recueilles et soignées. La plupart des conflits armés étant de caractère non international aujourd’hui et n’engendrant pas moins de souffrances humaines que les conflits armés internationaux, on ne peut que mesurer le caractère fondamental de l’article 3 commun qualifié de « Convention en miniature » lors de la Conférence diplomatique de 1949 et dont les règles correspondent à des considérations élémentaires d’humanité.

Le rôle du CICR et des autres organisations humanitaires impartiales, telles que les Sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, en ressort également renforcé. Le droit d’offrir des services humanitaires d’assistance et de protection est étendu à l’ensemble des organisations humanitaires impartiales et le droit d’accès des délégués du CICR aux lieux où se trouvent les prisonniers de guerre et les internés civils en cas de conflit armé international est codifié.

Enfin, les Conventions de Genève prévoient des mesures visant à mieux faire respecter leurs dispositions. Par exemple, elles renforcent l’obligation des Etats parties de diffuser leurs règles le plus largement possible, en tout temps, afin qu’elles soient connues des forces armées et de la population. En outre, elles obligent explicitement les Etats à prendre toute mesure législative nécessaire pour fixer les sanctions pénales adéquates à appliquer aux personnes ayant commis, ou donné l’ordre de commettre, les infractions graves aux Conventions, et à les rechercher et les poursuivre devant leurs propres tribunaux.

 

La pertinence du DIH réaffirmée face à certaines réactions préoccupantes

 L’objectif des Conventions de Genève tel que voulu par les Etats parties est de préserver le respect de la dignité humaine dans les conflits armés en toutes circonstances, en protégeant les personnes qui ne participent pas ou plus aux combats. Depuis lors, les Conventions de Genève ont contribué à sauver de nombreuses vies et à atténuer les souffrances humaines.  Cet objectif ne peut être ignoré lorsqu’il s’agit de répondre à certaines réactions tendant à éroder la valeur protectrice du DIH.

 

Le possible renoncement au respect du DIH face à la multiplication des conflits et aux menaces sur la sécurité des Etats

Il est fondamental que les Etats réaffirment en ce 75e anniversaire des Conventions de Genève, dans un contexte international particulièrement polarisé, leur engagement commun en faveur de l’humanité et élèvent le respect du DIH et des valeurs humanitaires qui le sous-tendent au rang de priorité politique. La multiplication des conflits actuels et les menaces de sécurité ne doivent pas conduire les Etats à renoncer aux règles fondamentales du DIH comme en témoigne une tendance inquiétante de certains à envisager un possible retrait de certaines conventions de DIH (voir le communiqué du CICR du 18 juillet 2024). Bien au contraire, l’intensification des conflits armés réaffirme toute la pertinence de la fonction du DIH qui est de préserver la dignité humaine. Les Conventions de Genève constituent un héritage universel consolidé en 1949 que les Etats doivent préserver et entretenir en les respectant et en les faisant respecter lors des conflits armés. La renonciation au DIH en tant qu’outil visant à réglementer les conflits armés aurait pour dangereuse conséquence de changer les règles du jeu et de tolérer un usage illimité de la force armée.

 

Le DIH serait inadapté aux besoins humanitaires générés par les conflits armés contemporains

On a souvent avancé que si l’adoption des Conventions de Genève a marqué un progrès décisif dans le développement du DIH en 1949, celles-ci sont surtout adaptées à la Deuxième Guerre mondiale et elles n’ont pas suffisamment anticipé l’évolution des conflits armés.

Cependant, les Conventions de Genève ont été ultérieurement complétées par les deux Protocoles additionnels de 1977 afin de renforcer la protection des victimes des conflits armés internationaux et non internationaux, notamment en renforçant la protection des personnes au pouvoir de l’ennemi et en limitant l’utilisation des moyens et méthodes de guerre. En outre, les traités de base du DIH restent un cadre juridique approprié pour régir le comportement des parties belligérantes dans les conflits armés contemporains. La portée de leurs règles est suffisamment large pour tenir compte des situations les plus complexes. Le traitement humain de toute personne au pouvoir des parties au conflit, les principes de distinction, de proportionnalité et de précaution, et l’interdiction d’infliger des maux superflus sont autant de règles qui continuent d’assurer un équilibre raisonnable et pragmatique entre les nécessités militaires et les exigences humanitaires. Seule une meilleure application des règles existantes permet d’améliorer le sort des victimes des conflits armés et de limiter le nombre des problèmes humanitaires. Il n’en reste pas moins que les Etats doivent également veiller à ce que le DIH continue d’évoluer afin de prendre en compte les nouveaux moyens de guerre, comme les systèmes d’armes autonomes, et l’évolution du cadre dans lequel se déroulent les conflits armés, comme les zones urbaines, le cyberespace ou l’espace extra-atmosphérique. Cependant, tout nouvel instrument juridique doit s’appuyer sur les principes ancrés dans les Conventions de Genève et leurs Protocoles additionnels.

 

Le DIH serait inutile car il est systématiquement violé et n’est jamais respecté

Les violations des règles des Conventions de Genève et du DIH en général, mises en avant souvent dans les médias, mettent régulièrement à rude épreuve leur crédibilité aux yeux de certains.  Cependant, de l’expérience du CICR et des Sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge sur le terrain, des vies sont sauvées, les familles restent en contact avec leurs proches et la dignité des détenus est respectée dans bon nombre de situations. Ces aspects sont moins visibles ou médiatisés, mais ils rappellent avec force que le DIH fait contrepoids aux comportements inhumains en temps de guerre et que la situation serait pire sans la protection qu’il confère. Le DIH est un instrument de régulation en vue de répondre aux conséquences humanitaires découlant des conflits armés. Il règlemente les comportements des parties belligérantes afin de faire respecter au mieux la dignité humaine et d’éviter tout débordement. C’est parce qu’il existe potentiellement un risque important d’exactions dans les conflits armés que le rôle régulateur du DIH a toute son importance.

 

Le DIH ne s’appliquerait qu’en certaines circonstances

Enfin, les discours préoccupants de certains Etats et parties à un conflit armé visent à établir des exceptions ou à nier l’applicabilité du DIH à certains conflits armés, voire à certaines personnes en raison d’actes qu’elles auraient commis. Cela est inacceptable et est en complète contradiction avec l’engagement des Etats parties aux Conventions de Genève à les respecter et à les faire respecter en toutes circonstances. Au regard de cette obligation, les Conventions de Genève s’appliquent indépendamment de la justification juridique du conflit, que ce soit dans le cadre de l’exercice de la légitime défense en réaction à une attaque armée ou d’une autorisation du Conseil de sécurité des Nations Unies, et indépendamment de la légitimité du conflit, qu’il soit qualifié de « juste » ou « injuste ».  Par ailleurs, les obligations des parties au conflit prévues par les traités de DIH sont de caractère non réciproque : elles s’appliquent indépendamment du respect ou non des obligations par les autres parties au conflit. Par conséquent, il n’y pas de place pour déroger aux règles des Conventions de Genève et du DIH en général, quelles qu’en soient les raisons. Celles-ci doivent être respectées dans leur intégralité par les parties au conflit et toutes les personnes au pouvoir de l’ennemi doivent être traitées avec humanité sans aucune distinction de caractère défavorable.

 

Un respect de la dignité humaine qui dépend de l’engagement de tous

Si les Conventions de Genève sont universellement ratifiées, elles ne sont pas universellement respectées. Il relève dès lors de la responsabilité des Etats et des parties aux conflits d’en appliquer fidèlement les règles. Le respect du DIH est une question de volonté politique et il est fondamental que les Etats œuvrent pour une culture mondiale de respect du DIH. Aujourd’hui, l’enjeu principal est de diffuser le DIH de manière compréhensible et accessible, d’encourager une interprétation commune des règles face à certains défis liés à leur application dans les conflits, et surtout de promouvoir les exemples de respect des règles du DIH et leur effet bénéfique. C’est en créant un environnement propice au respect du DIH, que ses règles seront mieux acceptées, soutenues et défendues.

 

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Un article rédigé par Frédéric Casier, Conseiller juridique en droit international humanitaire – Croix-Rouge de Belgique (Communauté francophone)