Et si Liège était en guerre ?
Quand la zone urbaine devient le nouveau théâtre des conflits armés
« Le 1e avril 2023, les Belges apprennent qu’une loi leur interdit désormais de manger des frites pour cause de santé publique. Sacré poisson d’avril me direz-vous ! Mais quand les premières amendes tombent et que les premières arrestations ont lieu, le peuple comprend vite qu’il ne s’agit pas d’une blague. Pour lutter contre cette loi liberticide, les « Tontons Friteurs » (ou TF), un mouvement citoyen, se forme et n’hésite pas à rapidement prendre les armes. Lorsque J. Tuche, membre des TF, est tué par les forces de l’ordre, c’est tout Liège qui s’embrase. Depuis, les affrontements armés n’ont cessé entre les forces gouvernementales et les TF ».
L’origine d’une idée
Brasserie de la Sauvenière à Liège. Un soir d’octobre 2022. Des verres sur la table. Plusieurs étudiant·es de la Faculté de droit, de science politique et de criminologie de l’ULiège et volontaires en diffusion du droit international humanitaire (DIH) à la Croix-Rouge de Belgique. Une coordinatrice provinciale de projets en diffusion du DIH. Une idée : organiser une activité sur le campus de l’Université de Liège pour sensibiliser les étudiant·es aux règles de base du droit international humanitaire.
Rapidement, l’idée d’organiser une conférence interactive se dessine. Et s’il faut sensibiliser les Liégeois·es à l’importance du respect des règles de DIH en période de conflit armé, autant utiliser des endroits bien connus en cité ardente : le Parc de la Boverie, l’Hôpital Notre-Dame des Bruyères ou encore une célèbre brasserie à Jupille. Faire comprendre les enjeux propres aux conflits armés en zone urbaine est sans conteste plus aisé lorsque l’on plonge le public dans un conflit armé qui prend place dans un endroit qui lui est familier.
La concrétisation d’une idée
Encore fallait-il concrétiser une telle idée. L’imagination débordante de certain·es a permis de créer un scénario de conflit armé non-international ; l’expertise juridique d’autres a assuré l’intégration dans le scénario d’éléments factuels. Ceux-ci permettaient d’envisager les grands principes de DIH, parmi lesquels l’on peut citer – de manière non-exhaustive :
- Les principes de distinction, de proportionnalité et de précaution ;
- Le statut des personnes qui ne participent pas ou plus aux hostilités ;
- L’interdiction de certaines méthodes et moyens de guerre, avec notamment l’exemple d’un siège autour du Parc de la Boverie, qui a pour conséquence d’affamer les rebelles des TF ;
- L’interdiction de discriminer les personnes blessées, autrement que sur base de la gravité des blessures et donc, des besoins de soins les plus urgents.
La semaine du 17 avril, le projet est devenu réalité et ce, en deux temps.
1) Sensibiliser sur le campus
Le mardi 18 avril, un stand de sensibilisation a été déployé sur le campus du Sart-Tilman. Quatre mannequins, étendus au sol, représentaient quatre civil·es victimes d’un bombardement en zone urbaine :
- Un sportif, professeur de sport à mi-temps, qui s’entraînait pour sa participation tant attendue au Marathon de Boston ;
- Une professeure en sciences appliquées bientôt à la retraite qui venait donner cours à l’Université ;
- Un guindailleur qui revenait de soirée ;
- Une étudiante en médecine qui se rêvait travailler comme médecin humanitaire à l’étranger.
4 destins brisés par les éclats de bombes. 4 destins qui interpellaient les étudiant·es et les membres du personnel universitaire qui passaient par là. Avec une animation « sons et lumières », notamment via l’utilisation de fumigènes, ce stand de sensibilisation en a intrigué plus d’un·e, certain·es s’approchaient pour lire les quatre cartes d’identité fictives, d’autres venaient échanger avec les volontaires du Comité provincial de Liège présent·es sur place.
Les objectifs poursuivis par ce stand ont été remplis et ce, au-delà de nos espérances :
- Le premier objectif était de sensibiliser, sur le campus, la communauté universitaire aux conséquences, sur les civil·es, des conflits armés en zone urbaine.
- Le second objectif était de piquer la curiosité des étudiant·es pour ensuite les convier à la conférence interactive prenant place deux jours plus tard, le jeudi 20 avril.
2) Faire découvrir le DIH de manière ludique
La conférence interactive prenait place en plein centre-ville de Liège, dans un amphitéâtre des bâtiments universitaires du XX août. Elle a rassemblé une soixantaine de personnes venant d’horizons divers : des étudiant·es, des volontaires de la Croix-Rouge de Belgique, des académiques, des membres des forces armées belges ou encore des « enthousiastes du DIH ».
Au programme : 5 situations et une décision à prendre pour chacune d’elle. En voici deux exemples :
- Les forces armées hésitaient entre une offensive aérienne ou terrestre à l’encontre des TF, terrés dans le quartier d’Outremeuse. Les forces armées ont ainsi demandé au public de décider quelle offensive il lui semblerait préférable de lancer.
- FRICAD’AILE, la porte-parole des TF, voulait quant à elle recruter des membres pour grossir les rangs de son groupe armé. Elle ne savait cependant pas trop s’il pouvait être envisageable de recruter, parmi d’autres profils, des jeunes scouts âgé·es de 17 ans qui adorent les frites.
Une conférence interactive. Interactive car le public était amené à prendre une décision et à voter pour celle-ci via l’application Wooclap. Interactive car il était confronté aux conséquences de ses décisions, découvrant rapidement les pertes dans ses rangs découlant d’une offensive terrestre. Interactive car le public était ensuite amené à expliquer ce qu’il avait pris en compte pour justifier sa décision. Interactive, enfin, pour l’équipe organisatrice qui expliquait les grandes règles de DIH en se basant sur les arguments qui étaient mis en avant par le public. Loin d’une conférence classique, et surtout, un sacré défi.
Le public, au fil de la conférence, a fait de plus en plus usage de la possibilité d’interagir pour poser des questions et affiner son raisonnement : « Et dans le parc de la Boverie, il n’y a que des rebelles participant directement aux hostilités ? ». Cela confirma to
ut l’intérêt d’organiser des conférences avec de l’interaction, durant lesquelles il apparait rapidement que le public était guidé dans sa réflexion par les grands principes de DIH qui lui avaient été expliqués auparavant.
Cette première conférence interactive a été une belle réussite. D’une part, elle a permis de faire découvrir les règles applicables en période de conflit armé non-international de manière ludique en partant du feeling des personnes présentes dans le public pour ensuite exposer les règles théoriques. D’autre part, elle a permis de montrer toute la complexité de cette branche du droit international, notamment lorsque le public prenait connaissance des répercussions de ses choix sur la population civile.
L’occasion enfin de rappeler qu’il n’existait pas forcément LA bonne réponse, mais que tout est question de situation et d’argumentation. D’ailleurs, « vous savez, je ne crois pas qu’il y ait de bonne ou de mauvaise réponse. Moi, si je devais résumer le DIH aujourd’hui avec vous, je dirais que ce sont d’abord des situations, des contextes, des personnalités variées. Et c’est assez curieux de se dire que les gens n’ont jamais la même approche, qu’ils voient la chose sous des angles différents. Parce que quand on a le goût du droit, quand on a le goût du droit concret, celui qui est appliqué, on se rend compte que notre position ne peut jamais être identique à celle de notre voisin, de notre camarade, de notre chef ».