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Le Droit International Humanitaire

Considérer les impératifs humanitaires pour un transfert d'armes plus responsable

La prolifération incontrôlée et l’usage abusif des armes classiques en temps de guerre continuent à avoir un lourd impact humanitaire malgré l’adoption d’un traité international sur le commerce des armes en 2013. Encore aujourd’hui ces armes, facilement accessibles, tombent souvent entre les mains de personnes non formées à leur usage.

La large disponibilité des armes engendre d’une part, de nombreuses souffrances humaines, et favorise d’autre part, les violations du droit international humanitaire (DIH). C’est ainsi que le CICR a rappelé lors d’une intervention en octobre 2022 à la 77e session de l’Assemblée générale des Nations Unies, qu’il était « urgent de s’interroger sur ce qui constitue un comportement responsable dans le domaine des transferts d’armes ».

Les effets de la prolifération incontrôlée des armes

Les modes actuels de transfert d’armes restent insuffisamment réglementés ou contrôlés au niveau national. Les armes, étant par conséquent largement disponibles, finissent entre les mains d’acteurs qui le plus souvent ne sont pas formés préalablement à leur maniement et ignorent les règles du droit international humanitaire (DIH). Selon l’étude du CICR portant sur « La disponibilité des armes et la situation des civils dans les conflits armés » qui date certes de 1999 mais reste toujours d’actualité, de nombreux civils sont blessés ou tués du fait de la disponibilité généralisée et de l’emploi abusif des armes à des fins d’attaques délibérées ou d’intimidation à leur encontre : actes de violence sexuelle, recrutement d’enfants ou déplacements de populations.

Ce phénomène en plus des pertes humaines qu’il engendre, a également des conséquences socio-économiques. Celles-ci se manifestent par exemple par la destruction des infrastructures essentielles pour la population et des installations industrielles. L’étude constate également que cette disponibilité généralisée et non réglementée des armes peut constituer un obstacle à l’assistance humanitaire aux victimes des conflits armés dans la mesure où il peut y avoir des attaques directes à l’encontre du personnel humanitaire et de ses équipements, des actes minage des voies de communication ou encore des menaces de violences armées, autant d’actes impliquant des retards dans l’acheminement de l’aide humanitaire.

En outre, la large accessibilité des armes favorise les violations du DIH, sans qu’elle en soit la cause systématique pour autant. De nombreux groupes armés qui ne connaissent ni ne respectent le DIH, peuvent se procurer facilement des armes légères et de petit calibre et commettre des actes pouvant entraîner les conséquences humanitaires précitées.

Au regard de ce constat sur le terrain, depuis plus d’une vingtaine d’années, le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge appelle régulièrement les Etats à renforcer leur contrôle sur la disponibilité des armes et de leurs munitions et la prise en compte du respect du DIH dans les décisions relatives aux transferts d’armes. Le Mouvement a ainsi soutenu l’adoption d’un traité fort et complet sur le commerce des armes afin d’en réduire le coût humain.

Un traité fort et complet pour pallier ces effets

Le Traité sur le Commerce des Armes (TCA) adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies le 2 avril 2013, aujourd’hui ratifié par 113 Etats, constitue un instrument juridique incontournable dans le cadre du transfert des armes. Il a pour but de contribuer à la paix, la sécurité et la stabilité internationales et régionales, de réduire la souffrance humaine, et de promouvoir la coopération, la transparence et l’action responsable des Etats.

Pour ce faire le TCA établit des normes strictes communes visant à réglementer ou améliorer la réglementation du commerce international de plusieurs catégories d’armes classiques, dont les armes légères et de petit calibre (fusils d’assaut, mitraillettes, grenades…), et de prévenir et éliminer leur commerce illicite afin d’empêcher leur détournement. Les munitions, pièces et composants de ces catégories d’armes sont également couverts par certaines dispositions du TCA.

Un des principes fondamentaux régissant le traité reste l’obligation des Etats de respecter et de faire respecter le DIH. Ainsi, un Etat partie ne doit autoriser aucun transfert d’armes classiques s’il a connaissance que celles-ci pourraient servir à commettre certains crimes de guerre et chaque Etat partie doit évaluer s’il y a un risque prépondérant que les armes faisant l’objet d’une exportation, pourraient servir à commettre une violation grave du DIH, ou à en faciliter la commission.

Des obligations juridiques toutefois peu concrétisées

Force est de constater qu’il existe un écart important entre les obligations prévues par le TCA et la pratique actuelle. Les conséquences humanitaires persistent en raison du contrôle encore très limité des transferts d’armes classiques, de leur possession et de leur usage.

L’effectivité relative du TCA peut s’expliquer notamment par la multitude d’interprétations existantes et la difficulté d’appliquer certaines dispositions. A titre d’exemple, la portée de l’obligation d’évaluer le risque prépondérant d’une violation grave du DIH dans le pays destinataire lors d’une exportation suscite de nombreux débats. Il en est de même pour l’étendue des mesures concrètes à prendre en vue de prévenir tout détournement des armes transférées. Peu d’Etats investissent actuellement dans l’établissement de mécanismes de surveillance et de suivi des transferts d’armes. Or l’absence de tels mécanismes peut favoriser une utilisation des armes transférées à d’autres fins prévues initialement et par des acteurs peu attentifs au respect du DIH. Des garanties de la part des Etats importateurs telle que des certificats de vérification de livraison ou des autorisations préalables en cas de réexportation s’avèrent donc nécessaires.

L’engagement continu de la Croix-Rouge

Le Mouvement appelle depuis 2013 les Etats à signer et ratifier au plus vite le TCA, et à assurer sa mise en œuvre effective en tenant compte de la responsabilité qui leur incombe de respecter et de faire respecter le DIH. Ainsi, les dispositions relatives aux interdictions de transfert et aux évaluations des exportations, basées notamment sur le respect du DIH, constituent le cœur du TCA et doivent rester un impératif humanitaire. Même s’ils ne sont pas encore parties au TCA, les Etats doivent aussi s’abstenir de transférer des armes si celles-ci seraient utilisées à des fins de violations du DIH, car l’obligation de faire respecter le DIH est prévue dans les Conventions de Genève de 1949.

Conscient des problèmes d’interprétation qui subsistent, le Mouvement encourage les Etats parties au TCA à échanger ouvertement des informations sur leur pratique afin de mieux comprendre la manière dont le respect du DIH est considéré, interprété et appliqué dans les décisions de transfert d’armes. Le CICR a révisé en 2017 des lignes directrices relatives aux décisions de transferts d’armes, permettant d’identifier les éléments à prendre en compte dans l’évaluation des risques de violations du DIH.

De son côté, la Croix-Rouge de Belgique se concerte régulièrement avec les autorités en vue de mieux promouvoir l’universalisation et la mise en œuvre du TCA sur le plan international. Par ailleurs, au niveau national, un processus de consultation est prévu avec les autorités fédérales compétentes et les autorités régionales afin de mieux comprendre la manière dont le respect du DIH est considéré par les autorités belges dans le cadre des décisions relatives aux transferts d’armes, d’identifier les défis et de potentielles recommandations pour y répondre.

Pour plus d’informations, nous vous invitons à lire l’article Le transfert responsable des armes classiques – Un enjeu humanitaire pour la Croix-Rouge, rédigé par Frédéric Casier, Conseiller juridique en DIH à la Croix-Rouge de Belgique.