Les emblèmes de la croix rouge, du croissant rouge et du cristal rouge : 5 contrevérités
Thématique du droit international humanitaire (DIH) parfois jugée comme étant secondaire, la protection des emblèmes de la croix rouge, du croissant rouge et du cristal rouge constitue pourtant une question primordiale et centrale. Manifestant la protection conférée par le DIH au personnel sanitaire, à ses structures et à ses moyens de transport, l’emblème fait partie intégrante du cœur des règles de droit international humanitaire moderne. Si la consécration de l’emblème de la croix rouge figure parmi les quelques règles du DIH consacrées dès 1864 dans la première Convention de Genève, elle n’en demeure pas moins une thématique brulante d’actualité.
Première contrevérité : L’emblème a une connotation religieuse
Faux ! Faisons un saut de près de 160 ans dans le temps pour revenir aux prémices du droit international humanitaire moderne. Le 24 juin 1859 a lieu la bataille de Solférino qui voit s’affronter l’armée française de Napoléon III à l’armée autrichienne de François-Joseph. Bataille particulièrement sanglante, elle fait plus de 6.000 morts et 40.000 blessés au sein des forces armées en présence. Des dizaines de milliers de soldats sont livrés à eux-mêmes sans bénéficier des soins nécessaires, les services de santé des armées étant totalement débordés.
Témoin de ces conséquences humanitaires, Henry Dunant, citoyen suisse et homme d’affaires, décide d’organiser un service d’assistance spontané avec la collaboration des habitants des villages voisins, à destination de tous les soldats, et ce sans aucune distinction de nationalité. À son retour de Solférino, Henry Dunant expose dans un ouvrage publié en 1862 deux recommandations : la création de sociétés nationales de secours aux militaires blessés (futures Sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge) et l’adoption d’une convention internationale qui protégerait les blessés et malades sur le champ de bataille ainsi que le personnel qui leur viendrait en aide.
En 1863, à l’initiative de ce qui allait devenir le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), une conférence diplomatique est convoquée du 26 au 29 octobre et adopte 10 résolutions visant à mettre en place ces Comités nationaux de secours dans chaque pays. Par le biais de la résolution 8, la Conférence diplomatique d’octobre 1863 adopte la croix rouge sur fond blanc comme signe distinctif unique et uniforme destiné à identifier et protéger les services sanitaires des armées et le personnel des sociétés de secours.
Une année plus tard, les résolutions et vœux émis lors de la Conférence diplomatique de 1863 débouchèrent sur l’adoption de la Première Convention de Genève pour l’amélioration du sort des militaires blessés dans les armées en campagne de 1864 qui constitue le premier développement du droit international humanitaire tel que nous le connaissons aujourd’hui. Cette Convention protège le personnel sanitaire et prévoit que les militaires blessés ou malades, à quelque nation qu’ils appartiennent, doivent être recueillis et soignés. Elle consacre également la croix rouge sur fond blanc comme signe distinctif aisément reconnaissable à distance des services sanitaires. Ce signe distinctif devait donc symboliser la neutralité des services sanitaires. Si la raison relative au choix d’une croix rouge sur fond blanc en guise de signe distinctif n’est évoquée ni dans la première Convention de Genève de 1864 ni dans le procès-verbal de la Conférence diplomatique d’octobre 1863, elle sera ultérieurement précisée lors de la révision de la Convention en 1906 (à son article 18): « Par hommage pour la Suisse, le signe héraldique de la croix rouge sur fond blanc, formé par interversion des couleurs fédérales, est maintenu comme emblème et signe distinctif du service sanitaire des armées. ».
Lors de la révision de la Convention de Genève pour l’amélioration du sort des blessés et des malades dans les forces armées en campagne en 1929, le croissant rouge et le lion-et-soleil rouge viennent s’ajouter aux emblèmes reconnus. Il s’agissait de répondre aux demandes de certains Etats comme la Turquie et la Perse qui, voyant dans l’emblème de la croix rouge une connotation chrétienne, avaient respectivement utilisé le croissant rouge et le lion-et-soleil rouge pour signaler leur personnel et infrastructures sanitaires.
La reconnaissance de ces emblèmes additionnels est toutefois rapidement devenue problématique pour trois raisons principales, la première étant qu’en répondant aux demandes des Etats qui voyaient dans la croix rouge sur fond blanc une signification chrétienne, cela a justement participé à prêter à l’emblème une connotation religieuse. Par ailleurs, elle a eu pour effet de créer l’impression d’un parti pris en faveur des pays chrétiens et musulmans au détriment des autres religions. Enfin, en multipliant le nombre d’emblèmes reconnus, cela nuisait à l’objectif de l’emblème qui est de signaler la protection conférée par le droit international humanitaire au personnel, aux moyens de transport et aux infrastructures sanitaires, objectif qui ne peut être atteint qu’à la condition que l’emblème soit connu et donc universel. Or, ultérieurement à l’adoption des Conventions de Genève de 1929, d’autres Etats souhaitent l’adoption d’autres emblèmes. C’est le cas par exemple d’Israël qui propose l’adoption du bouclier-de-David rouge lors de la Conférence de révision des Conventions de Genève en 1949, demande qui sera finalement rejetée.
Afin de trouver une solution durable et globale à la prolifération des emblèmes, la Conférence internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge de 1999 décide de créer un groupe de travail composé d’Etats et de Sociétés nationales du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge pour travailler sur cette question. Les travaux du groupe de travail déboucheront sur l’adoption en 2005 d’un troisième Protocole additionnel aux Conventions de Genève consacrant un emblème additionnel (dénommé l’« emblème du troisième Protocole ») et qui portera, à partir de 2006[1], le nom de « cristal rouge ». Cet emblème, dénué de toute connotation religieuse, idéologique, politique ou autre, est soumis aux mêmes usages et à la même protection juridique que la croix rouge et le croissant rouge.
En conclusion, les Conventions de Genève de 1949 et leurs Protocoles additionnels de 1977 et 2005 reconnaissent aujourd’hui quatre signes distinctifs destinés à rendre visible la protection octroyée au personnel, infrastructures et moyens de transport sanitaires. Si le lion-et-soleil rouge figure parmi les emblèmes reconnus, il n’est plus utilisé depuis 1980, date à laquelle la République islamique d’Iran déclare qu’elle renonce à son droit d’utiliser le lion-et-soleil rouge et qu’elle utilisera désormais le croissant rouge pour identifier les services sanitaires de ses forces armées.
Deuxième contrevérité : l’emblème n’a d’autre usage que celui de rendre visible la protection offerte par le DIH
Faux ! Deux fonctions spécifiques incombent aux emblèmes : un usage indicatif et un usage protecteur (pour le fondement entre ces deux différents usages de l’emblème, voir l’article 44 de la première Convention de Genève de 1949, paragraphes 1 et 2).
Quand il est utilisé à titre protecteur, l’emblème consiste à signaler la protection conférée par le droit international humanitaire au personnel sanitaire et religieux (tant civil que militaire) et à leurs biens. Il est important de noter que ce n’est pas l’emblème en tant que tel qui confère cette protection mais bien les textes de DIH (principalement les Conventions de Genève de 1949 et leurs Protocoles additionnels de 1977), l’emblème n’étant qu’une manifestation visible de cette protection. Lorsqu’il est utilisé à titre protecteur, l’emblème doit être de grande taille par rapport au bien ou à la personne qui l’arbore et visible de loin. Quand il est utilisé sur certains endroits spécifiques (par exemple peint sur une toiture) ou sur certains supports (par exemple sur un brassard), l’emblème est toujours considéré comme ayant une fonction protectrice.
En temps de conflit armé, sont habilités à utiliser l’emblème à titre protecteur : (i) les services sanitaires et le personnel religieux (personnel, établissements et moyens de transport) des forces armées des Etats et des groupes armés dans le cadre de leur rôle d’auxiliaire ; (ii) les services sanitaires (personnel, établissements et moyens de transport) des Sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge mis à la disposition des services sanitaires des forces armées ; (iii) les hôpitaux civils reconnus par les autorités de l’Etat et autorisés à utiliser l’emblème; (iv) les unités et moyens de transport sanitaires civils reconnus et autorisés par les autorités de l’Etat ; (v) les autres sociétés de secours volontaires (autres que les Sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge) reconnues et autorisées à assister les forces armées des Etats.
En temps de paix, sont habilités à utiliser l’emblème à titre protecteur : i) les services sanitaires et le personnel religieux des forces armées des Etats ; ii) les structures médicales et les moyens de transport sanitaires des Sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge dont l’affectation à des tâches sanitaires en cas de conflit armé est déjà déterminée, avec le consentement des autorités de l’Etat.
Par ailleurs, dans son usage indicatif, l’emblème est utilisé, en temps de paix comme en temps de conflit armé, pour indiquer le lien qui existe entre une personne ou un bien et le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. Il symbolise la neutralité, l’indépendance et l’impartialité du Mouvement et de ses composantes. Sont habilités à utiliser l’emblème à titre indicatif : i) les Sociétés nationales de la Croix-Rouge et Croissant-Rouge ; ii) la Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (FICR) ; iii) et le Comité international de la Croix-Rouge (CICR). En temps de paix, à titre exceptionnel et avec l’autorisation expresse de la Société nationale, les ambulances et postes de premiers secours ayant pour tâche exclusive de soigner gratuitement les blessés et malades peuvent également faire usage de l’emblème à titre indicatif, conformément à la législation nationale (une pratique devenue très limitée dans les différents pays et absente en Belgique). Afin d’éviter toute confusion avec l’usage protecteur, l’emblème utilisé à titre indicatif doit être de petite dimension, ne peut être utilisé sur un brassard ou une toiture et est accompagné du nom ou des initiales d’une Société nationale de la Croix-Rouge ou du Croissant-Rouge. Le « logo » d’une composante du Mouvement est ainsi compris comme étant l’utilisation par l’une des composantes du Mouvement de l’emblème de la croix rouge, du croissant rouge ou du cristal rouge sur fond blanc, accompagné du nom ou des initiales de la composante concernée.
En vertu de l’article 44, al. 3 de la première Convention de Genève de 1949, le CICR et la FICR peuvent faire usage, en tout temps (en temps de paix comme en temps de conflit armé) et sans réserve, de l’emblème à titre indicatif et à titre protecteur (voir aussi Commentaires du CICR, article 44, al. 3 CG I, § 2687).
Troisième contrevérité : L’emblème, une garantie contre les attaques
Malheureusement, cette affirmation est fausse. L’actualité nous démontre en effet que le personnel et les bâtiments arborant l’emblème de la croix rouge, du croissant rouge ou du cristal rouge à titre protecteur font régulièrement l’objet d’attaques lors de conflits armés. On peut par exemple citer les attaques menées en juin-juillet 2010 contre l’hôpital de Keysaney à Mogadiscio en Somalie, hôpital géré par le Croissant-Rouge de Somalie et arborant un croissant rouge. Un autre exemple plus récent est celui de l’attaque, en novembre 2020, de trois ambulances de la Croix-Rouge éthiopienne qui arboraient l’emblème protecteur de la croix rouge.
De telles pratiques mettent en péril tant la mission des services sanitaires que celle du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge.
Outre la méconnaissance des règles relatives au respect des emblèmes par les parties au conflit, de telles attaques peuvent également s’expliquer par la violation délibérée de ces règles par ces parties. Par ailleurs, l’usage des emblèmes par des acteurs non habilités (que ce soit en temps de paix mais également en temps de conflit armé dans le cadre d’actes hostiles – voir ci-dessous) participe à favoriser la confusion des genres entre les différents acteurs, et notamment entre le personnel du Mouvement et les parties belligérantes.
Quatrième contrevérité : un abus d’emblème n’entraine pas de sanctions
Faux ! Des abus d’emblème furent commis dès 1866, aussi bien en temps de paix qu’en période de conflit armé (voir notamment Commentaires du CICR, article 53 CG I, § 3070). Face au risque d’affaiblissement de la fonction protectrice de l’emblème que pose un usage inapproprié de l’emblème ou une utilisation de l’emblème par des personnes ou des entités non habilitées, le DIH – déjà dans la Convention de Genève de 1906 (articles 27 et 28) – oblige les Etats à prendre les mesures législatives nécessaires pour empêcher et réprimer en tout temps les abus d’emblème. Le DIH prévoit également l’obligation de prendre de telles mesures en vue de fixer des sanctions pénales à l’encontre des personnes ayant commis en temps de conflit armé un usage perfide de l’emblème qui a causé la mort ou des blessures graves.
L’on distingue traditionnellement trois types d’abus d’emblèmes, soit trois types de violations des règles relatives à l’utilisation des emblèmes : l’imitation ; l’usurpation et la perfidie.
L’imitation, qui peut être commise en temps de paix comme en temps de conflit armé, consiste en une utilisation d’un signe distinctif qui par sa couleur et/ou sa forme peut prêter à confusion avec les emblèmes de la croix rouge, du croissant rouge ou du cristal rouge. Ce serait par exemple le cas d’une croix orange foncée sur fond blanc.
L’usurpation, pouvant également être commise en tout temps, peut consister soit en l’utilisation d’un emblème par des personnes habilitées mais en violation des règles relatives à l’usage des emblèmes (le transport d’armes dans une ambulance de la Croix-Rouge par exemple) ou l’utilisation d’un emblème par des personnes non habilitées (ce serait par exemple le cas d’un professionnel de santé qui se sert de l’emblème au sein de sa clinique, d’une pharmacie qui arbore l’emblème sur son enseigne ou encore d’une entreprise qui affiche l’emblème sur un produit ou une publicité dans le but de tirer parti de l’estime et de la réputation dont jouit l’emblème). Il est important de souligner que le droit international humanitaire protège tant le signe distinctif que la dénomination de l’emblème (ex : « croix rouge »). L’interdiction des différents usages abusifs précités est donc aussi d’application dans ce cas. À noter que si ceci n’avait naturellement pas pu être prévu par le DIH à l’époque (article 53 CG I), l’interdiction de l’imitation et de l’usurpation des emblèmes distinctifs et de leurs dénominations s’applique aussi dans l’univers numérique et sur Internet (commentaires CICR, article, 53, para. 3073).
Enfin, la perfidie consiste en l’utilisation d’un emblème en temps de conflit armé par des combattants participant à des actes hostiles, qui fait appel, avec l’intention de la tromper, à la bonne foi d’un adversaire pour lui faire croire qu’on a le droit de recevoir la protection prévue par les règles du DIH. Quand une telle utilisation est intentionnelle et entraîne la mort ou des atteintes graves à l’intégrité corporelle ou à la santé, l’usage perfide de l’emblème constitue un crime de guerre dans les conflits armés, tant internationaux que non internationaux (article 85, § 3, f) du Protocole additionnel I aux Conventions de Genève et règle 65 de l’Etude du CICR sur le DIH coutumier).
En Belgique, la loi du 4 juillet 1956 relative à la protection des dénominations, signes et emblèmes de la Croix-Rouge (Moniteur belge du 11 juillet 1956, p. 4616) érige en infractions pénales les usages abusifs des emblèmes du Mouvement et de leurs dénominations (usurpation, imitation) et sanctionne les auteurs de tels faits par des amendes et/ou des peines d’emprisonnement. En outre, le Code pénal énonce parmi les actes constitutifs de crimes de guerre, « le fait d’utiliser perfidement le signe distinctif de la croix rouge ou du croissant rouge ou d’autres signes protecteurs reconnus par le droit international humanitaire, à la condition que le fait entraîne la mort ou des blessures graves » (art. 136quater, §1, 29° du Code pénal).
Cinquième contrevérité : les abus d’emblème, une question purement théorique
Faux ! La problématique des abus d’emblème peut parfois être perçue comme une question purement théorique aux enjeux minimes. La réalité est pourtant tout autre.
Les usages abusifs des emblèmes, même commis en temps de paix, ont pour effet de compromettre leur respect en temps de conflit armé car ils entament la confiance que les parties belligérantes accordent à ce que les emblèmes symbolisent, avec pour conséquence ultime la mise en péril du personnel sanitaire et des blessés et malades auxquels ce dernier vient prêter assistance. Ainsi, la banalisation de l’usage de l’emblème dès le temps de paix amoindrit considérablement sa valeur protectrice en temps de conflit armé.
Les abus d’emblèmes peuvent également affecter de manière négative l’action humanitaire menée par le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, action qui est guidée par les principes de neutralité, d’impartialité et d’indépendance et incarnée à travers l’usage indicatif de l’emblème. Prenons l’exemple fictif d’une association caritative qui destine son aide à une communauté religieuse spécifique et qui, dans le cadre de sa campagne de récolte de fonds, utilise l’emblème afin de tirer parti de l’estime et de la réputation dont jouit celui-ci. L’impact en termes de réputation pour le Mouvement peut être très nuisible, celui-ci pouvant être perçu, de manière erronée, comme destinant exclusivement son aide humanitaire à une communauté religieuse en particulier, ce qui serait contraire à son principe d’impartialité. Cela peut également entamer la confiance que les parties au conflit accordent aux composantes du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge comme acteur neutre, indépendant et impartial, et donc compromettre l’accès du Mouvement aux victimes.
L’exemple actuel du conflit armé en Ukraine est à ce titre particulièrement parlant. Depuis plusieurs mois, on peut en effet constater l’utilisation à mauvais escient de l’emblème de la croix rouge par des individus et des entités qui tentent d’apporter une assistance humanitaire au bénéfice des victimes du conflit armé. Il ressort que la majorité de ces abus d’emblèmes sont commis par des personnes agissant depuis des pays autres que l’Ukraine. Sans remettre en cause le caractère louable de toute assistance humanitaire, et si dans la plupart des cas, ces usages abusifs ne sont pas commis en connaissance de cause, ils ont pourtant des conséquences néfastes très concrètes, et ce à plusieurs égards. Outre l’affaiblissement de la fonction protectrice des emblèmes déjà mentionné et l’impact potentiel sur la vie des membres des personnels sanitaires et des blessés et malades qu’ils assistent, de tels usages abusifs participent également à accroitre la confusion entre les composantes du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge et ces autres acteurs, nuisant à l’approche spécifique du Mouvement conformément à ses Principes fondamentaux. Dans bon nombres de cas, cette confusion participe aussi à augmenter la charge de travail des composantes, en particulier celle de la Croix-Rouge ukrainienne qui fait face à des complications d’ordre administratif et opérationnel, cela impactant in fine la délivrance de l’aide humanitaire aux personnes affectées. Le non-respect des modalités d’utilisation de l’emblème n’est donc pas sans conséquences sur l’assistance et la protection des victimes des conflits armés.
Renforcer le respect des emblèmes par la prévention
La prévention face aux abus d’emblème reste l’action principale et de loin la plus importante afin de garantir le respect des règles relatives à l’utilisation des emblèmes, et donc à sauvegarder leurs fonctions protectrices. Les mesures de protection des emblèmes doivent être prises dès le temps de paix par les Etats qui sont parties aux conventions de DIH et qui sont donc les premiers destinataires des obligations issues de ces conventions. Ce devoir découle de l’obligation générale des Etats de respecter et de faire respecter le DIH. Par ailleurs, les Etats doivent veiller à diffuser le DIH, dont la protection des emblèmes et les conséquences en cas de non-respect. Ce travail s’effectue avec la collaboration du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, dont les Sociétés nationales qui, en tant qu’auxiliaires des pouvoirs publics dans le domaine humanitaire, ont pour mandat de diffuser le DIH et de veiller à son application, en ce compris le respect des emblèmes du Mouvement (Statuts du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge de 1986, article 3.2).
Ainsi, la Croix-Rouge de Belgique entreprend diverses actions en collaboration avec les autorités belges pour prévenir les abus d’emblème :
– elle veille à rappeler aux personnes physiques et morales qui utilisent de tels signes distinctifs l’importance de les respecter et de mettre fin à tout usage inapproprié au regard de leur rôle protecteur pour les victimes lors des conflits armés, et elle propose éventuellement des signes alternatifs ;
– elle collabore occasionnellement avec le CICR et les autres Sociétés nationales pour lutter contre des cas d’abus d’emblème qui dépassent les frontières ;
– elle organise des formations en DIH auprès de différents publics, dont les forces armées et le grand public. Ces formations incluent le rappel des règles relatives à la protection des emblèmes ;
– elle participe aux réflexions en vue d’un renforcement de la législation nationale qui protège et sanctionne les abus d’emblème. Ainsi, elle préside un groupe de travail de la Commission interministérielle de droit humanitaire qui a pour objet d’analyser le cadre normatif national existant sur la protection des soins de santé dans les situations d’urgence et de déterminer éventuellement les dispositions législatives et réglementaires qui devraient être renforcées ou adoptées, y compris sur la protection des emblèmes, et ce en vertu d’un engagement intitulé « Strengthening the legal framework and increasing the respect for the protective emblems » et adopté conjointement par la Belgique et la Croix-Rouge de Belgique à la XXXIIIe Conférence internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (2019).
Parmi les actions entreprises par le Mouvement dans le domaine, on peut citer le projet de recherche lancé par le CICR en 2020 sur la conception potentielle d’un emblème numérique en vue de renforcer la protection des systèmes informatiques des structures médicales contre les cyberattaques dans les situations de conflit armé. Ce projet part du constat que les cyberopérations menées contre des établissements médicaux sont une réalité et risquent de nuire aux êtres humains, notamment en période de conflit armé. De même, dès lors que les composantes du Mouvement numérisent de plus en plus leurs services et leurs opérations, le risque qu’elles soient elles-mêmes victimes de cyberopérations hostiles est bien réel. À l’issue de recherches et consultations menées avec des expert·es, le CICR a publié ce 3 novembre 2022 un nouveau rapport qui conclut sur la pertinence d’un emblème numérique. Sur base notamment de l’engagement du Mouvement sur cette question (Résolution 12 adoptée au Conseil des délégués, juin 2022, para. 12), le CICR va continuer à poursuivre ses recherches sur la faisabilité technique d’un emblème numérique et les avantages d’un tel emblème et à travailler en étroite collaboration avec la Fédération internationale et les Sociétés nationales et à mener des consultations avec les États et des experts dans cette optique.
Enfin, sur le plan opérationnel et à des fins de prévention, il est primordial, en cas de conflit armé, que les acteurs du Mouvement communiquent régulièrement avec la population civile et les forces et groupes armés afin de rappeler non seulement le respect des règles du DIH, mais aussi la nature des emblèmes et les caractéristiques de leur action humanitaire (neutralité, indépendance et impartialité). Une meilleure communication peut éviter la confusion des genres entre les acteurs sur le terrain et préserver les biens protégés par les emblèmes contre toute attaque potentielle.
[1] Par le biais d’une résolution adoptée à la XXIXème Conférence internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge en 2006.