Le Rétablissement des Liens Familiaux sur le théâtre des conflits armés
A l’occasion de la Journée internationale des victimes de disparition forcée proclamée par l’Assemblée générale des Nations Unies et qui a lieu chaque année le 30 août, la Croix-Rouge de Belgique souhaite faire la lumière sur les activités de Rétablissement des Liens Familiaux (RLF) qu’elle mène en faveur des personnes disparues, en particulier celles qui fuient la guerre.
Si le nombre exact de personnes portées disparues dans le monde n’est pas connu, le Comité International de la Croix-Rouge (CICR) l’estime à plusieurs centaines de milliers au moins. Soldat·es disparu·es au combat, enfants séparés de leur famille parce qu’ils ont dû fuir leur foyer ou ont été recrutés de force par des groupes armés, personnes détenues dans l’impossibilité de joindre leurs proches, déplacé·es internes, réfugié·es et migrant·es qui ont perdu le contact avec leur famille, ou encore migrants noyés en Méditerranée, chaque année de nombreuses personnes sont exposées au risque de disparition.
Le Rétablissement des Liens Familiaux : un réseau mondial
La Croix-Rouge de Belgique œuvre, à travers son Service de Rétablissement des Liens Familiaux (RLF), à rétablir le contact entre membres d’une même famille séparés par un conflit armé, une catastrophe ou d’autres situations d’urgence, ou à la suite d’un parcours migratoire. Cette mission découle du mandat confié au Mouvement International de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge en matière de RLF. Maillon du réseau international de Rétablissement des Liens Familiaux, la Croix-Rouge de Belgique travaille en collaboration avec les autres Sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge et les délégations du CICR à travers le monde afin d’élucider le sort des personnes disparues et d’apporter des réponses aux familles à la recherche d’un·e des leurs.
Concrètement, chaque semaine les collaborateur·rices du Service RLF mènent des entretiens avec des personnes ayant perdu le contact avec un·e proche. A la suite de cet entretien, le Service RLF contacte la Société Nationale du pays dans lequel la disparition a eu lieu et lui transmet toutes les informations en sa possession, avec le consentement exprès de la personne ayant fait la demande, pour que des recherches soient menées. En fonction des informations disponibles et de la situation sécuritaire, des recherches sont ensuite menées sur le terrain par des volontaires et des membres du personnel de la Société Nationale concernée. Ainsi, chaque jour, ce sont des milliers de personnes qui vont recevoir ces demandes de recherche, les traiter, et effectuer des recherches de terrain dans des contextes parfois extrêmement difficiles. Le nombre élevé de demandes de recherche, la complexité des recherches dans certaines parties du monde et, parfois, le manque d’informations précises compliquent le travail du personnel RLF et augmentent le temps d’attente et d’incertitude des familles. Un dossier RLF peut représenter des années de recherches et d’investigation et dans certains cas le sort des personnes disparues ne pourra pas être élucidé, malgré les efforts du réseau mondial de RLF.
Conflits armés et migrations : raisons principales de la perte de contact
En Belgique, le Service RLF de la Croix-Rouge est surtout amené à travailler sur des situations de disparition liées à la migration. Fuyant des zones de conflits ou des situations de violence généralisée, des familles décident de quitter leur pays d’origine et c’est bien souvent sur le parcours migratoire qu’elles sont séparées. Séparées par les passeurs au moment d’embarquer sur un bateau ou de monter en voiture, à la frontière lors de passage qui s’effectuent souvent de nuit, ou à la suite de la perte d’un téléphone. Les trois principaux pays d’origine des bénéficiaires du Service RLF en 2020 étaient l’Afghanistan, la Guinée, et la République Démocratique du Congo. La plupart des bénéficiaires issu·es de ces pays sont à la recherche de leur famille restée au pays, ou d’un proche perdu lors de leur périple vers l’Europe : un frère, une mère, un cousin, …
En 2020, 190 personnes ont ouvert une demande de recherche auprès du Service RLF de la Croix-Rouge de Belgique. Parmi eux, 28% viennent d’Afghanistan, 14% de Guinée, et 12% de République Démocratique du Congo. Etant donné le nombre important de demandes de recherche, et la complexité de celles-ci, la plupart peuvent prendre plusieurs années avant qu’il soit éventuellement possible d’apporter un éclairage sur le sort des personnes disparues. Cette même année, 140 personnes avaient été retrouvées. Et depuis le 1er janvier 2021, 59 personnes ayant fait appel au Service RLF de la Croix-Rouge de Belgique ont été localisées par le Mouvement.
Lorsque les informations fournies et la situation sécuritaire le permettent, les Services RLF des Sociétés nationales des pays concernés vont organiser des recherches de terrain. Des volontaires ou des membres de ces Sociétés nationales vont donc parcourir le pays et mener un véritable travail d’enquête afin de retrouver et rétablir le contact entre ces personnes.
Si parcourir des centaines, voire des milliers, de kilomètres dans un pays en paix n’est pas toujours chose facile, l’existence d’un conflit armé complique encore la tâche. En effet, dans les pays en proie à un conflit armé, le travail du RLF est fort logiquement impacté par la situation sécuritaire. Dans ce contexte où de nombreuses familles sont séparées par un conflit, comment le travail de recherche et de rétablissement du contact peut-il être facilité ?
Le respect et la diffusion du droit international humanitaire comme outil au service du Rétablissement des Liens Familiaux.
Le droit international humanitaire (DIH), ou droit des conflits armés, vise à restreindre, pour des raisons humanitaires, les effets néfastes des conflits armés, et contient, depuis ses origines, des dispositions relatives au Rétablissement des Liens Familiaux. Le DIH prévoit ainsi l’obligation pour les parties au conflit d’élucider le sort des personnes disparues, fondée sur le droit des familles de savoir ce qui est advenu de leurs proches, l’obligation d’assurer le regroupement des familles dispersées par le conflit dans la mesure du possible, et l’obligation de prendre des mesures visant à prévenir les disparitions telles que la récolte des données relatives à l’identité et à l’état des personnes protégées ou la transmission des nouvelles entre les membres des familles dispersées (voir notre article à ce sujet ici).
Outre le fait que le RLF puise ses sources dans le DIH, le respect effectif de ce dernier sur le théâtre des hostilités constitue une condition nécessaire à la capacité du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge à rétablir les liens familiaux. Sans un respect effectif du DIH par toutes les parties aux conflits armés, c’est la capacité du Mouvement à déployer des activités de RLF qui s’en trouve compromise, et par conséquent ce sont des centaines de milliers de familles qui demeurent séparées.
Or, la protection des acteurs humanitaires constitue de nos jours, partout dans le monde, un enjeu fondamental, le personnel des organisations humanitaires étant délibérément pris pour cible : attaques armées, mauvais traitements, intimidations, enlèvements, prises d’otages, destructions et pillages des infrastructures, sont autant d’exemples d’actes qui mettent en danger la mission des humanitaires et privent de ce fait, l’accès des populations à l’aide dont elles ont besoin. Ces actes constituent pourtant des violations du droit international humanitaire.
Il convient d’abord de rappeler que les acteurs humanitaires (ainsi que leurs biens) sont, en tant que civils, protégés contre les attaques directes pour autant qu’ils ne prennent pas part directement aux hostilités. De plus, le DIH prévoit que les personnes civiles tombées au pouvoir de l’ennemi, en ce compris les acteurs humanitaires, jouissent d’une série de protections (vivres, médicaments, matériel sanitaire, accès aux organisations humanitaires, protection contre toute atteinte à l’intégrité physique et à la dignité humaine, exercice d’activités et de loisirs, garantie de procès équitable). Par ailleurs, le personnel des organisations humanitaires impartiales se voit accorder un régime de protection supplémentaire. En effet, le DIH prévoit que le personnel, les biens et les activités des organismes humanitaires impartiaux doivent être respectés et protégés par les Parties au conflit. Ces garanties se retrouvent dans plusieurs dispositions de DIH. Les Parties au conflit doivent accorder le libre passage aux organismes humanitaires autorisés. Le personnel humanitaire doit pouvoir se déplacer librement, pour autant qu’il ait été autorisé par l’Etat sur le territoire duquel il exerce son office. Seule la nécessité militaire impérieuse peut lui être opposée comme motif de limitation temporaire de cette prérogative.
Pour être respecté, le droit international humanitaire doit être connu. Bien qu’il incombe en premier lieu aux États de faire connaître ce droit, le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge a pour mandat de les assister dans cette tâche et est encouragé à prendre des initiatives en ce sens. C’est ainsi que le CICR, en collaboration avec les Sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, s’emploie à diffuser le DIH notamment auprès des porteurs d’armes afin de leur rappeler les obligations qui leur incombent en vertu du DIH.
Le Rétablissement des Liens Familiaux en Afghanistan : l’importance du droit international humanitaire, hier comme aujourd’hui
Depuis les années 70’, l’Afghanistan a connu des conflits armés à répétition. Ces conflits ont entrainé des souffrances incommensurables au peuple afghan et ont poussé des milliers de familles à quitter l’endroit où elles vivaient. Si certaines d’entre elles ont décidé de quitter le pays, beaucoup se sont réfugiées dans une province ou un district voisin. Ces déplacements de population ont entrainé énormément de séparations et de disparitions. Elucider le sort des personnes disparues est la raison d’être des Services RLF du Mouvement et chaque année ce sont des milliers de demandes de recherche émanant d’Europe et d’ailleurs qui arrivent en Afghanistan.
Le Comité International de la Croix-Rouge est présent depuis 1987 en Afghanistan. Et depuis 1987, le CICR dialogue avec toutes les parties présentes. Conformément aux principes fondamentaux du Mouvement International de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, le CICR, comme toutes les composantes du Mouvement, est neutre et impartial. Il s’abstient de prendre part aux hostilités et aux controverses d’ordre politique, racial, religieux et idéologique et ne fait aucune distinction de nationalité, de race, de religion, de condition sociale et d’appartenance politique. Il s’applique seulement à secourir les individus à la mesure de leur souffrance et à subvenir par priorité aux détresses les plus urgentes.
Les besoins humanitaires en Afghanistan sont élevés depuis très longtemps et risquent de continuer à l’être. La prise de pouvoir des talibans en août 2021 n’entrainera pas un retrait du CICR d’Afghanistan, qui compte rester dans le pays dans un avenir prévisible pour poursuivre son travail d’assistance et de protection des victimes de conflits, en collaboration avec le Croissant-Rouge afghan.
Neutre, impartial, et présent depuis plusieurs décennies en Afghanistan, le CICR dialogue avec toutes les parties au conflit. Comme le rappelle Christine Cipolla, directrice régionale du CICR pour l’Asie et le Pacifique : « Compte tenu de nos décennies de travail dans le pays, nous avons des relations établies de longue date avec les talibans. Les changements survenus en Afghanistan n’ont pas modifié notre relation avec eux, et la situation actuelle ne change pas la manière dont nous cherchons à opérer ».
Il est en effet primordial de continuer à diffuser les règles de droit international humanitaire, en ce compris celles relatives à la protection du personnel humanitaire, à l’accès aux zones les plus touchées et au rétablissement des liens familiaux. Seul le dialogue avec toutes les parties prenantes permettra de porter secours efficacement à ceux qui en ont le plus besoin et à élucider le sort des personnes disparues.