Une résolution appelant à éviter l'utilisation d'armes explosives à large rayon d'impact en zones peuplées
Le 21 avril dernier, la Commission de la Défense nationale de la Chambre des Représentants a adopté une résolution demandant au gouvernement fédéral de participer activement aux négociations actuelles d’une déclaration politique internationale relative au renforcement de la protection des civils contre les conséquences humanitaires résultant de l’utilisation des armes explosives à large rayon d’impact* dans les zones densément peuplées (voir notre article publié en avril 2020). La résolution répond aux principales préoccupations humanitaires qui ont été exprimées par la Croix-Rouge de Belgique lors d’une audition à la Commission de la Défense nationale en janvier. Une fois la résolution adoptée en plénière à la Chambre, il appartiendra au gouvernement fédéral de la mettre en œuvre afin de défendre une déclaration politique forte visant à réduire les dommages incidents à l’égard des personnes civiles.
L’aboutissement d’un long processus
L’adoption de la résolution à une large majorité des députés en Commission de la Défense nationale constitue l’aboutissement d’un long processus de discussion et de consultation qui a débuté le 8 juillet 2020, date à laquelle le texte fut officiellement introduit. Le SPF Affaires étrangères et le Ministère de la Défense ont ainsi été invités à émettre leurs avis sur la proposition de résolution. Handicap International/Humanity Inclusion et la Croix-Rouge de Belgique ont également été sollicités afin d’apporter leur éclairage sur les conséquences humanitaires de l’utilisation des armes explosives à large rayon d’impact et sur les questions d’interprétation et d’application du droit international humanitaire (DIH) qui se posent. Ces deux organisations ont ainsi pu partager leurs positions respectives le 6 janvier dernier devant la Commission de la Défense nationale.
Le texte de la résolution a pour objectifs d’une part, d’appeler le gouvernement fédéral belge à participer activement au processus diplomatique lancé par l’Irlande depuis novembre 2019 et visant l’adoption d’une déclaration politique internationale sur le renforcement de la protection des civils contre l’impact des armes à large rayon d’impact dans les zones densément peuplées et d’autre part, de l’encourager à proposer des éléments de langage clairs et détaillés afin que cette déclaration contienne des engagements fermes et sans équivoque conformément aux appels lancés par le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, le Secrétaire général des Nations Unies et la plateforme d’ONGs INEW, dont Handicap International fait partie. Afin de répondre au mieux aux conséquences humanitaires générées par les armes explosives à large rayon d’impact, la résolution incite le gouvernement belge à intégrer dans la déclaration politique internationale trois éléments principaux qui rejoignent globalement les suggestions faites par la Croix-Rouge dans le cadre des consultations actuelles menées sous l’égide de l’Irlande, et qui ont été réitérées par la Croix-Rouge de Belgique en janvier.
L’appel à « éviter » l’utilisation des armes explosives à large rayon d’impact
Tout d’abord, selon la résolution, la déclaration politique doit inclure « un engagement sans équivoque à éviter l’utilisation d’armes explosives à large rayon d’impact en zones peuplées ». Selon la Croix-Rouge, cet engagement doit constituer le cœur de la déclaration. Depuis 2013, l’ensemble du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, à savoir le CICR, les Sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge et leur Fédération internationale, demande aux Etats « d’éviter d’utiliser des armes explosives ayant un large rayon d’impact dans des zones densément peuplées » (Conseil des Délégués du Mouvement, résolution 7 sur « Les armes et le droit international humanitaire », §4). Il se réfère à l’analyse faite par le CICR sur ce problème humanitaire dans son rapport en 2011 sur « Le droit international humanitaire et les défis posés par les conflits armés contemporains » (cette position a d’ailleurs été rappelée dans son rapport de 2019).
Plus particulièrement, le Mouvement appelle les Etats et les parties aux conflits armés à éviter, en tant que politique (ou principe) et bonne pratique, l’utilisation des armes explosives dans les zones densément peuplées, c’est-à-dire des zones de concentrations de populations civiles ou de biens de caractère civil, qu’elles soient permanentes ou temporaires.
Une « politique d’évitement » ne vise pas à interdire les armes explosives ou à développer de nouvelles règles de DIH qui porteraient sur l’usage de ces armes. Elle signifie que les armes explosives à large rayon d’impact ne devraient pas être utilisées dans les zones peuplées, sauf si des mesures suffisantes sont prises afin de limiter le rayon d’impact de ces armes et le risque de dommages causés aux civils et aux biens de caractère civil, notamment les dommages incidents directs et indirects.
En effet, lorsque les hostilités se déroulent dans des zones peuplées, il est fort probable que l’emploi d’armes explosives à large rayon d’impact entraîne d’importants dommages à l’égard des personnes et biens civils en raison de leur large rayon de destruction et de leur imprécision. Depuis plusieurs années, près de 90% des décès et blessures concernent les civils à la suite de l’utilisation de ces armes dans les zones peuplées (88% en 2020 selon le rapport « Explosive Violence Monitor 2020 » publié cette année).
En outre, l’utilisation de telles armes dans les zones peuplées soulève aussi de sérieuses questions sur la manière dont les règles du DIH sont interprétées, appliquées et respectées, en particulier le principe de distinction et l’interdiction de toute attaque indiscriminée, le principe de proportionnalité et le principe de précaution (Voir le Protocole additionnel I aux Conventions de Genève de 1949, relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux, 8 juin 1977, articles 48, 51, 52 et 57 ; Etude du CICR sur le DIH coutumier, règles 1, 7, 11-19).
En raison de l’imprécision de certains types de systèmes d’armes explosives, il est difficile de les diriger vers un objectif militaire précis comme le requièrent le principe de distinction et l’interdiction des attaques indiscriminées. Lorsqu’ils sont utilisés contre des objectifs militaires situés dans des zones peuplées et à proximité de biens civils, il y a en général un risque élevé qu’ils frapperont indistinctement des objectifs militaires, et des personnes civiles et des biens civils.
Sur la base des observations directes des dommages civils dans les guerres en zones peuplées, il existe un doute significatif quant au fait que les forces armées tiennent suffisamment compte de tous les effets incidents raisonnablement prévisibles dans leurs processus de planification et de ciblage lorsqu’elles évaluent les dommages civils qui sont attendus, conformément au principe de proportionnalité dans l’attaque.
L’obligation de prendre toutes les précautions pratiquement possibles quant au choix des moyens et méthodes de l’attaque exige des forces de l’attaquant de considérer les caractéristiques des armes disponibles (telles que leurs larges effets de zone), la présence de civils et de biens civils à proximité de la cible, et les effets incidents attendus. Elle leur impose aussi de prendre des mesures pour éviter ou en tout cas, réduire au minimum les dommages civils. Cela impliquerait que les forces de l’attaquant prennent des mesures pour limiter les larges effets de zone des armes explosives, ou de ne pas utiliser des armes explosives à large rayon d’impact et de considérer des armes et tactiques alternatives, si cela est pratiquement possible.
La nécessité de prendre en compte les « effets dominos »
La résolution appelle également à intégrer dans la déclaration politique « une reconnaissance des “effets dominos” ou “reverberating effects” » des armes explosives à large rayon d’impact qui doivent être pris en compte avant et durant l’attaque.
Les dommages résultant de l’usage des armes à large rayon d’impact comprennent non seulement les effets directs d’une telle utilisation (décès et blessures des civils, destruction de biens civils), mais aussi les effets indirects, moins visibles mais tout aussi dévastateurs et durables, qu’on appelle aussi les effets « dominos » sur les infrastructures civiles en raison de leur interdépendance. Les services essentiels sont ainsi interrompus en raison de l’endommagement ou de la destruction des infrastructures critiques pour la survie des populations civiles telles que les installations médicales, les systèmes d’approvisionnement en eau et en électricité et les systèmes d’assainissement. Cette interruption entraîne ainsi des épidémies et des décès supplémentaires en dehors de ceux provoqués directement par l’attaque.
De l’avis de la Croix-Rouge, ces effets indirects doivent également être pris en compte s’ils sont raisonnablement prévisibles au regard des circonstances de l’attaque conformément aux principes de proportionnalité et de précaution (Protocole additionnel I aux Conventions de Genève, article 51, §5, b) et article 57, §2, a), iii) et son commentaire, § 2212).
Une assistance complète aux victimes et un accès humanitaire inconditionnel
La résolution demande enfin au gouvernement fédéral de soutenir dans la déclaration politique internationale un « engagement résolu pour assister les victimes (…) dans la lignée des plus hauts standards de protection des victimes d’armes explosives (…) », ainsi que « un engagement pour permettre un accès inconditionnel aux zones bombardées par les acteurs de l’aide humanitaire, un soutien aux infrastructures de santé et au personnel humanitaire (…) ».
L’accès humanitaire et l’assistance aux victimes constituent en effet un des principaux enjeux de la déclaration politique internationale. Si la dernière version de celle-ci fait référence à une approche « holistique » de l’assistance qui tiendrait compte des différents besoins des victimes, la Croix-Rouge estime que cette notion devrait être précisée plus clairement afin d’inclure l’assistance médicale, la réhabilitation physique, le soutien psychosocial et la réintégration socio-économique.
La Belgique peut encore jouer un rôle proactif sur le plan international
L’adoption de la résolution en Commission de la Défense nationale de la Chambre arrive à un moment crucial des négociations de la déclaration politique internationale. Suspendues depuis un an en raison de la pandémie de COVID-19, les consultations ont repris en mars 2021 avec les 70 Etats impliqués depuis le début du processus. Des échanges ont ainsi eu lieu sur un projet de texte révisé et soumis par l’Irlande en janvier dernier. Les Etats et les organisations internationales telles que le CICR, ont ainsi soumis leurs commentaires écrits.
Au nom du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, le CICR a réinsisté dans ses commentaires sur un certain nombre d’éléments clés pouvant être renforcés dans la déclaration, en particulier : un engagement clair et non équivoque d’éviter l’utilisation des armes explosives à large rayon d’impact dans les zones densément peuplées (actuellement absent de la déclaration) ; l’élaboration d’outils et de processus visant à ce que les forces armées prennent en compte les effets directs et « dominos » sur les personnes civiles et biens civils (effets désormais mentionnés dans le texte de la déclaration) ; l’assistance aux victimes qui doit être mieux spécifiée ; et un processus de mise en œuvre de la déclaration politique qui soit ouvert, transparent et inclusif, associant ainsi non seulement les forces armées des Etats mais aussi les organisations internationales et les acteurs de la société civile concernés.
Les consultations menées en mars ont reflété des points de convergence et des points de divergence entre les Etats notamment sur l’engagement d’éviter l’utilisation des armes explosives à large rayon d’impact ou sur la prise en compte des effets « dominos » résultant de leur utilisation. De son côté, la Belgique participe activement au processus de consultation depuis 2019 et a également émis des commentaires sur le dernier projet de déclaration.
La Croix-Rouge de Belgique se félicite de l’adoption de la résolution par la Commission de Défense nationale de la Chambre le 21 avril dernier. Un certain nombre d’éléments s’inspirent largement des suggestions faites par le CICR lors des discussions sur la déclaration politique internationale car elles ont pu être clarifiées par la Société nationale lors de l’audition parlementaire. Lorsque la résolution sera adoptée en plénière, le gouvernement fédéral aura ainsi l’opportunité de se l’approprier et faire le choix de jouer un rôle de premier plan pour soutenir au niveau international, une politique visant à éviter l’utilisation des armes explosives à large rayon d’impact dans les zones densément peuplées et l’intégration de leurs effets directs et « dominos » raisonnablement prévisibles avant et pendant les attaques.
Afin d’atteindre son but, la déclaration politique ne doit pas se limiter à rappeler les règles existantes du DIH et l’importance de les respecter. Les divergences d’interprétation sur certaines règles applicables à l’utilisation des armes explosives dans les zones densément peuplées et les conséquences humanitaires qui en résultent doivent inciter les Etats à prendre d’urgence des mesures concrètes sous forme de pratiques et de politiques afin d’assurer le respect effectif du DIH et de limiter le plus possible les dommages causés incidemment aux populations civiles. Leur protection doit rester l’enjeu principal lors des négociations finales qui devraient aboutir en juin prochain.