Le Rétablissement des Liens Familiaux : une application concrète du DIH
L’impact des disparitions et des séparations familiales sur les individus, les familles et les communautés durant les conflits armés constitue l’une des plus graves tragédies humanitaires à long terme. Les membres des familles de personnes disparues n’auront de cesse de chercher à obtenir des informations sur leur sort. Des enjeux qui puisent leur source dans les règles du droit international humanitaire.
Le Mouvement Croix-Rouge au service du RLF et du DIH
Le Rétablissement des Liens Familiaux (RLF) est le terme générique utilisé par le Mouvement International de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge pour désigner l’ensemble des activités visant à prévenir les séparations et les disparitions, à élucider le sort des personnes portées disparues et à les localiser, à rétablir et maintenir le contact entre membres de familles dispersées et à faciliter le regroupement des familles lorsque cela s’avère possible. Le droit international humanitaire (DIH), qui s’applique dans les situations de conflit armé, contient de fait des règles portant sur le respect de la vie familiale, le maintien ou le rétablissement des liens familiaux et la nécessité de faire la lumière sur le sort des personnes portées disparues par suite d’un conflit armé. Si ces dispositions établissent des obligations dans le chef des Etats, elles reconnaissent également le rôle central joué par les composantes du Mouvement Croix-Rouge.
Des origines du RLF aux Conventions de Genève du 12 août 1949
Le développement des activités de RLF a suivi de près celui du DIH. Dès 1870, lors de la guerre franco-prussienne et six ans après l’adoption de la première Convention de Genève, les premiers échanges d’informations relatives au sort des soldats capturés furent effectués entre les belligérants grâce à l’intervention du Comité International de Secours aux militaires blessés, renommé en 1875 ‘Comité International de la Croix-Rouge’ (CICR). En 1929, la Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre pose le principe général selon lequel les captifs doivent être traités, en tout temps, avec humanité. Elle reprend également des règles relatives aux courriers des prisonniers, y compris concernant les colis qu’ils peuvent recevoir. En son article 79, la Convention prévoyait également la création d’une agence centrale de renseignements sur les prisonniers de guerre dont le rôle était de concentrer tous les renseignements, intéressant les prisonniers, qu’elle obtiendrait afin de les transmettre le plus rapidement possible au pays d’origine des captifs. Révisée par la suite, la Convention de Genève de 1929 est aujourd’hui la Convention de Genève III relative au traitement des prisonniers de guerre du 12 août 1949.
Un socle minimal de comportements à respecter en tout temps
De nos jours, le Rétablissement des Liens Familiaux est consacré dans de nombreuses dispositions des quatre Conventions de Genève de 1949 et des deux Protocoles Additionnels de 1977. Si les Conventions de Genève et leurs protocoles additionnels traitent principalement des dispositions applicables pour les conflits armés internationaux (CAI), l’article 3 commun des Conventions de Genève est quant à lui applicable aux conflits armés non internationaux. Bien que moins précises que les règles applicables aux CAI, les règles issues de l’article 3 commun représentent un socle minimal de comportements à respecter en tout temps.
Sur le RLF en particulier, les Conventions de Genève définissent le rôle de deux entités :
- Les Bureaux Nationaux [art. 122 CG III, 136 CG IV] : dès le début d’un conflit et dans tous les cas d’occupation, chacune des Parties au conflit constituera un Bureau officiel de renseignement sur les prisonniers de guerre se trouvant en son pouvoir.
- L’Agence Centrale [art. 123 CG III, 140 CG IV] : Une Agence centrale de renseignement sur les prisonniers de guerre sera créée en pays neutre. Le Comité international de la Croix-Rouge proposera aux puissances intéressées, s’il le juge nécessaire, l’organisation d’une telle Agence.
Quelles activités pour rétablir les liens familiaux ?
Les Conventions de Genève et leurs Protocoles Additionnels gouvernent également toute une série d’activités de RLF, activités qui peuvent être classées en quatre grandes catégories :
- La collecte, l’enregistrement, et la transmission d’informations en vue de l’identification des prisonniers de guerre, des internés civils, des blessés, malades ou morts, et toute autre personne protégée. Les Bureaux Nationaux joueront ici un rôle important en coopérant étroitement avec l’Agence Centrale.
- Transfert de nouvelles familiales : les prisonniers de guerre ayant le droit d’envoyer et de recevoir des lettres [art. 71 CG III, 107 CG IV], et chacun a le droit de recevoir des nouvelles de ses proches [art. 25 CG IV]. En effet, l’article 25 de la quatrième Convention de Genève dit que : ‘Toute personne se trouvant sur le territoire d’une Partie au conflit ou dans un territoire occupé par elle, pourra donner aux membres de sa famille, où qu’ils se trouvent, des nouvelles de caractère strictement familial et en recevoir’.
- Recherche des personnes disparues : en son article 32, le premier Protocole Additionnel de 1977 reconnait le droit qu’ont les familles de connaître le sort de leurs membres. Chaque Partie au conflit doit également rechercher les personnes disparues [art. 33 PA I], respecter les dépouilles et sépultures de ceux qui sont décédés et faciliter l’accès des sépultures aux membres des familles des personnes décédées [art. 34 PA I].
- Réunification familiale : en particulier, les mesures pour l’évacuation des enfants [art. 78 PA], le droit des familles dispersées de se retrouver [art. 26 CG IV, 74 PA I], et le transfert ou le rapatriement des prisonniers de guerre et des autres personnes protégées [art. 119 CG III ; 128, 134, 135 CG IV]
Le rôle du CICR et des Sociétés Nationales de la Croix-Rouge
Le Mouvement International de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge est présent dans toutes les régions du monde et chacune de ses composantes respecte les mêmes principes de neutralité, d’indépendance, et d’impartialité. Cette présence mondiale est un atout précieux en matière de rétablissement des liens familiaux. Le statut de neutralité et d’impartialité des organes de la Croix-Rouge, reconnu par le DIH, permet au Mouvement d’agir dans tous les pays où le besoin existe, quel que soit le statut des personnes concernées (prisonniers de guerre, civils, déplacés internes, réfugiés, migrants, …). En matière de RLF, le CICR coopère avec les différentes Sociétés Nationales des pays concernés. Cette coopération, et la coordination qu’elle implique, est optimisée par les dispositions des Accords de Séville (Accord sur l’organisation des activités internationales des composantes du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge).
Le CICR, à travers l’Agence Centrale de Recherche, a un rôle de coordination et de conseil technique auprès des gouvernements (à qui incombe en premier chef les responsabilités découlant du DIH en matière de RLF) et des Sociétés Nationales. En effet, l’Agence Centrale de recherche coordonne les actions qui sont prises en réponse aux situations crées par les conflits armés ou autres situations de violences. Elle s’assure notamment de la cohérence de la réponse apportée en matière de RLF, et fournit un appui technique et méthodologique aux Sociétés Nationales. En tant que support technique, elle établit des pratiques communes de travail, organise des formations et, plus généralement, s’assure du partage de connaissances entre les membres du réseau de rétablissement des liens familiaux.
Les Sociétés Nationales quant à elles agissent au travers de leur Service RLF. Elles mènent leurs activités humanitaires conformément à leurs propres statuts et à leurs législations nationales. Agissant en tant que membres du réseau de rétablissement des liens familiaux, elles mènent des activités de prévention, de maintien, et de rétablissement du lien, en collaboration avec les autres Sociétés Nationales, le CICR, et l’Agence Centrale de Recherches.
Une réalité qui persiste au-delà des conflits
Si l’origine du RLF est à trouver dans le DIH, les conflits armés ne représentent pas les seules situations dans lesquelles le réseau Croix-Rouge mène des activités RLF. Né des horreurs des champs de bataille, le principe d’humanité, régissant les activités RLF et raison d’être du DIH, ne doit pas connaitre de limites. Raison pour laquelle le mandat du Mouvement International de la Croix-Rouge et du Croissant Rouge en matière de RLF dépasse le champ d’application du DIH pour couvrir d’autres situations d’urgence humanitaire. En effet, les besoins en matière de RLF peuvent continuer à exister longtemps après la fin d’un conflit, mais aussi naitre de l’occurrence d’une catastrophe naturelle ou industrielle, ou dans le contexte migratoire.