De la pertinence du droit international humanitaire
Face aux violations flagrantes du droit international humanitaire que nous pouvons lire dans la presse jour après jour, il est difficile de ne pas se poser la question de sa pertinence à notre époque. Peter Maurer, Président du Comité International de la Croix-Rouge, partage ses réflexions sur la question à l’occasion de sa participation à un débat d’experts organisé par le Centre d’études stratégiques et internationales le 10 mai 2019.
La complexification des conflits armés contemporains
Pierre angulaire du DIH, les Conventions de Genève de 1949 offrent l’exemple extraordinaire d’un consensus partagé par toutes les Nations du monde qu’un peu d’humanité doit subsister au plus fort des hostilités et que les conséquences néfastes des conflits armés sur l’individu, la communauté et les Etats doivent être limitées. Toutefois, la typologie des conflits armés contemporains et les relations complexes se jouant entre les différents protagonistes de la guerre posent de sérieuses préoccupations quant à l’avenir réservé au DIH. Si la multiplication des groupes et acteurs armés sur les champs de bataille est inquiétante, l’influence exercée aux niveaux national, régional et international par certains protagonistes sur la manière dont les acteurs de terrain opèrent – ou non – en conformité avec le DIH est également préoccupante. Les limites des champs de bataille tendent également à devenir de plus en plus floues et différents phénomènes de violence (lutte contre le terrorisme, violences intercommunautaires, …) viennent se superposer aux contextes de conflits armés.
Un autre défi rencontré est celui de la multiplication des partenaires et alliés ne se trouvant pas sur le théâtre des conflits, et entraînant bien souvent une dilution des responsabilités, une fragmentation des chaînes de commandement et une circulation incontrôlée des armes. Par ailleurs, des questionnements éthiques et juridiques liés au prolongement de la guerre dans le cyberespace, à la modernisation des armes et au développement des technologies d’intelligence artificielle commencent à se dessiner et se révèleront probablement de plus en plus nombreux à mesure que la technologie évoluera.
Le DIH vers une indispensable évolution
Enfin, il ressort que pour de nombreux acteurs armés, ce n’est pas la connaissance du DIH qui fait défaut, mais plutôt la volonté de le respecter lorsque la partie adverse ne fait pas de même. Il arrive aussi que les belligérants mettent en avant des arguments fâcheux tels que le fait que l’adversaire est si mauvais qu’il doit être combattu en ignorant les dispositions limitant l’usage de la force. A la lumière de ces différents défis posés par les conflits armés contemporains, le DIH se doit d’évoluer avec son temps s’il veut demeurer pertinent. A cette fin, il est primordial que son contenu fasse l’objet d’examens critiques, que ses lacunes soient analysées et que sa mise en œuvre sur le terrain soit suivie et évaluée. La nécessité du DIH de demeurer pertinent est d’autant plus nécessaire que l’on observe que son respect permet d’alléger les souffrances des civils et de faciliter les chances des processus de réconciliation entre les communautés d’aboutir.
Le DIH compatible avec la sécurité et la souveraineté des Etats
Afin de sauvegarder sa pertinence, il est important de mettre en évidence la compatibilité du DIH avec la sécurité et la souveraineté des États. Il est primordial que les grands thèmes politiques, comme la lutte contre le terrorisme, soient traités dans le respect du DIH et de ses principes. Des solutions pratiques doivent être trouvées lorsque ces deux éléments – chacun poursuivant des objectifs légitimes – se rencontrent et se mettent mutuellement en péril en raison de l’interaction et de la relation conflictuelle qui les lient Preuves en sont, par exemple, l’initiative engagée des sénateurs américains Cory Booker et Todd Young ayant présenté une résolution bipartite honorant le 70e anniversaire des Conventions de Genève et appelant à un plus grand respect du droit international humanitaire, l’appel des ministres des affaires étrangères du G7 à plus de respect et à une plus grande protection des civils, et la mobilisation de personnes plaidant en sa faveur, qui, même si elles ne sont pas assez nombreuses, font entendre leur voix.
De nombreux exemples de respect sur les champs de bataille
Bien qu’il soit nécessaire de souligner les violations du DIH quotidiennement commises, il apparaît que trop peu d’attention est accordée à sa mise en œuvre quotidienne. Des exemples positifs de respect existent pourtant bel et bien et il est utile de s’en inspirer. Lorsque des soldats laissent passer un blessé à un point de contrôle, qu’un enfant reçoit de la nourriture ou une autre forme d’aide humanitaire sur la ligne de front, que les conditions de vie des détenus sont améliorées ou qu’ils peuvent avoir un contact avec leurs familles, nous avons la preuve que le DIH est respecté.
Le DIH plus nécessaire que jamais
Malgré que le DIH soit né il y a plus de 150 ans dans un contexte de guerre très différent de celui que nous connaissons aujourd’hui, son objectif d’un équilibre entre les considérations humanitaires et les nécessités militaires demeure primordial. Il ne s’agit pas d’un ensemble de normes abstraites voué à disparaitre car devenu obsolète. C’est un outil pratique judicieux et conçu avec des militaires pour être mis en œuvre sur les champs de bataille et pour servir de guide au sein de la triste réalité de la guerre. Les exactions relayées par les médias et les organisations humanitaires aujourd’hui démontrent la pertinence du rôle que doit encore jouer le DIH. Le remettre en cause consisterait à renoncer à ce minimum d’humanité et à tolérer un usage illimité de la violence.