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Le Droit International Humanitaire
05.05.2025 |

Le DIH à l'agenda des Etats : une initiative mondiale

New York – Le Brésil, la Chine, la France, la Jordanie, le Kazakhstan et l’Afrique du Sud ont lancé une initiative mondiale visant à revitaliser l’engagement politique en faveur du droit international humanitaire.

Le Droit international humanitaire (DIH) est souvent présenté comme un cadre juridique indispensable et largement soutenu par les Etats, mais trop peu respecté par les parties aux conflits sur le terrain. Les discussions diplomatiques marquées par les clivages politiques, semblent par ailleurs impuissantes à élaborer des réponses concrètes aux violations dont il fait l’objet. Face à l’érosion croissante de son respect, plusieurs États se sont mobilisés pour relancer l’engagement politique en sa faveur, le but étant de restaurer le respect de la dignité humaine dans les conflits armés contemporains et de briser ce cycle de désespoir face au non-respect du DIH.

C’est dans cette optique qu’est née l’Initiative mondiale en faveur du droit international humanitaire, dont les premières consultations ont débuté en avril. Une démarche interétatique, appuyée par le Comité International de la Croix-Rouge (CICR), qui entend replacer le DIH au cœur des priorités politiques et diplomatiques.

Le DIH sous tension : entre réalité des conflits et inertie diplomatique

Le DIH constitue depuis des décennies un socle juridique essentiel en temps de guerre. Il incarne un engagement universel : préserver un minimum d’humanité même au cœur des conflits armés. Pourtant, malgré la large ratification des traités qui le codifient, on constate de nombreuses violations.

En effet, plus de 120 conflits armés sont aujourd’hui recensés à travers le monde, certains durant depuis des décennies, causant des souffrances humaines, sociales, environnementales et économiques considérables. La multiplication des acteurs non étatiques et la complexité de leur structure et modes de fonctionnement, les attaques menées contre les infrastructures à double usage civil et militaire, la multiplication des opérations militaires en milieu urbain et le développement de nouvelles technologies de guerre suscitent des défis d’interprétation et par conséquent, de respect des règles du DIH. Par ailleurs, les attaques récurrentes touchant de manière générale les personnes civiles et les biens civils mais aussi spécifiquement le personnel médical et le personnel humanitaire et leurs infrastructures, la déshumanisation préoccupante de certaines personnes au pouvoir des parties aux conflits et l’absence de mécanismes internationaux robustes de responsabilisation, ont favorisé une banalisation des violations du DIH.

Dans ce contexte, le DIH est souvent considéré comme inefficace ou dépassé. Le constat alarmant de cette érosion résulte toutefois moins de lacunes juridiques que d’un manque de volonté politique pour en assurer le respect effectif. C’est sur cette base qu’est née l’Initiative mondiale visant à revitaliser l’engagement politique en faveur du DIH.

Un processus interétatique pour insuffler une nouvelle dynamique au DIH

Lancée en 2024 grâce à l’impulsion conjointe du CICR, de l’Afrique du Sud, du Brésil, de la Chine, de la France, de la Jordanie et du Kazakhstan, l’Initiative mondiale n’a pas pour but de donner naissance à un nouveau traité. Elle se veut pragmatique. Son ambition : mobiliser les États autour de la nécessité de faire du respect du DIH une priorité diplomatique et opérationnelle, tant à l’échelle nationale qu’internationale. A cette fin, cette initiative vise à promouvoir un dialogue inclusif, constructif, non politisé et axé sur la recherche de solutions face aux problèmes d’interprétation et de violations du DIH dans les conflits armés contemporains.

Elle rappelle que tous les États, qu’ils soient parties aux conflits ou non, partagent la responsabilité de respecter et faire respecter les règles essentielles qui protègent l’humanité en temps de guerre et de les préserver.

Conçue comme une démarche volontaire d’État à État, elle repose sur une série de consultations et de concertations thématiques et régionales, organisées autour de groupes de travail. Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) appuie le processus, en facilitant les échanges, afin de permettre aux Etats d’aboutir à des résultats concrets.

L’objectif final est l’approbation de recommandations réalistes et concrètes d’ici fin 2026, que les États pourront intégrer à leurs politiques nationales ou faire valoir dans les enceintes multilatérales.

Un processus structuré autour de 7 thématiques prioritaires

L’Initiative repose sur sept groupes de travail thématiques, appelés à élaborer d’ici mi 2026 ces recommandations pratiques. Ces travaux doivent déboucher sur une réunion de haut niveau prévue fin 2026, qui actera ces recommandations et marquera une étape clé pour traduire l’initiative en engagements politiques durables.

Les thématiques abordées sont les suivantes :

  • La prévention des violations du DIH notamment par l’adoption de mesures nationales de mise en œuvre, et l’identification de bonnes pratiques ;
  • Le fonctionnement des commissions nationales de DIH, organes consultatifs des gouvernements visant à promouvoir le respect du DIH, à coordonner les mesures nationales de mise en œuvre et à contribuer à son développement ;
  • Le lien entre le respect du DIH et son impact favorisant le retour à la paix ;
  • La protection des infrastructures civiles, à travers l’encadrement juridique de la notion d’« objectif militaire » au regard du principe de distinction et la clarification du principe de précaution ;
  • La protection des hôpitaux dans les conflits armés et l’interprétation des conséquences de la perte de leur protection lorsqu’ils sont utilisés pour commettre des actes nuisibles à l’ennemi ;
  • L’usage des technologies numériques comme moyens et méthodes de guerre dans le respect des règles de DIH ;
  • La guerre maritime moderne et ses conséquences humanitaires, en particulier l’interprétation des règles du DIH en matière de protection des personnes civiles et des infrastructures civiles critiques, la protection des militaires blessés, malades, naufragés et décédés en mer, l’impact environnemental et la sécurité des navires marchands.

Les thématiques sont ainsi regroupées autour de deux volets : le renforcement de la prévention des violations du DIH pour les trois premières thématiques, et la construction d’une vue commune sur une protection efficace et effective dans les conflits armés à la lumière des règles existantes du DIH pour les quatre dernières.

Les groupes de travail rassembleront des représentants étatiques parfois soutenus par des experts issus des Sociétés nationales de la Croix-Rouge ou du Croissant-Rouge, des organisations internationales, du monde académique ou d’autres organisations humanitaires.

Un premier cycle de consultations avec les Etats a débuté en avril et se prolongera jusque fin mai.

Et la Belgique dans tout cela ?

La Belgique compte participer activement aux débats qui se dérouleront au sein des différents groupes de travail thématiques avec l’appui d’experts issus de différents départements ministériels. Elle participera ainsi au groupe de travail sur les commissions nationales de DIH qui a pour objet d’encourager les échanges entre États sur les pratiques concernant le mandat, la composition, les méthodes de travail et les responsabilités des commissions nationales dans la promotion du respect du DIH. Elle aura l’occasion de partager l’expérience et les pratiques de la Commission belge interministérielle de DIH, la première commission du genre à avoir été créée en 1987 et au sein de laquelle la Croix-Rouge de Belgique participe aux travaux.

La Croix-Rouge de Belgique, en tant qu’auxiliaire des pouvoirs publics dans la diffusion et le respect du DIH, suit ce processus de près et entend jouer un rôle de relais et d’appui en informant et en accompagnant les autorités, dans les consultations et l’élaboration des recommandations. A l’invitation des autorités, des représentants de la Société nationale intègreront la délégation de la Belgique lors des premières consultations qui se dérouleront au sein du groupe de travail le 7 mai avec tous les Etats et les 20-21 mai à Varsovie lors la Conférence régionale européenne des commissions nationales de DIH organisée par la Présidence polonaise du Conseil de l’UE et la Croix-Rouge polonaise, en collaboration avec le CICR.

Et maintenant ? Une dynamique à suivre de près

L’Initiative mondiale vise à raviver la flamme du DIH, à l’heure où celui-ci est pris dans un cercle vicieux de violations et d’absence de solutions concrètes. Elle entend répondre à une critique récurrente : le DIH ne serait pas respecté parce qu’il est inefficace. À l’inverse, cette démarche vise à démontrer que le DIH peut fonctionner avec de la volonté, des ressources, et des mécanismes adaptés.

L’Initiative mondiale n’a pas encore livré ses recommandations finales. Elles sont attendues dans le courant de l’année 2026, à l’issue de la phase actuelle de consultations. Ce n’est donc que la première étape d’un processus plus large en faveur d’un monde plus respectueux du DIH. Un rapport intérimaire sera cependant publié en septembre 2025 afin de présenter des recommandations préliminaires qui nourriront les prochains travaux.

Si cette initiative s’inscrit d’abord dans un processus interétatique, elle nous concerne tous. Car ce sont les dynamiques nationales, les politiques publiques, les engagements concrets, qui font vivre – ou non – les recommandations internationales.

En attendant, la Croix-Rouge de Belgique poursuit son rôle d’accompagnement, de sensibilisation et de conseil, pour que le DIH ne soit pas seulement un cadre juridique, mais une réalité sur le terrain.

Pour plus d’informations sur l’Initiative globale en faveur du DIH, consultez le site du CICR : Initiative mondiale visant à revitaliser l’engagement politique en faveur du droit international humanitaire | Comité International de la Croix-Rouge